Comité Anti-Amiante Jussieu: information

Rapports sur l'amiante et la sécurité incendie à Jussieu

(extraits)

1974

26 juillet : «rapport de la sous-commission de sécurité de la Préfecture de Police». Ce rapport adressé aux présidences des universités Paris 6 et Paris 7, recense les graves problèmes de sécurité incendie sur le campus Jussieu et dresse une liste de 58 recommandations à mettre en oeuvre pour assurer cette sécurité incendie, dont celles-ci :

«1°/ Porter au degré de réaction et de résistance au feu tous les ouvrages prévus dans le règlement de sécurité approuvé par les arrêtés ministériels des 23 mars 1965, 4 mars 1969 et 15 novembre 1971 relatifs à la protection contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public et plus particulièrement à l'article C014 en ce qui concerne les ossatures, charpente et planchers, aux articles C029 2ème alinéa et R15 en ce qui concerne les cloisons, C022 et R12 en ce qui concerne les escaliers. »
«2°/ Maintenir dégagés en permanence tous les couloirs de dégagement, dégagements, escaliers, itinéraires de sortie et d'évacuation, interdire notamment le stationnement de véhicules à proximité des sorties des amphithéâtres ainsi que dans les itinéraires réservés pour les interventions des sapeurs-pompiers, le stationnement de cycles et de motocycles dans les dégagements généraux, les stockages de quelque nature qu'ils soient dans les couloirs, escaliers, etc., s'ils en diminuent la largeur au-delà des limites fixées aux articles C038 -C039 et R 25.»
«4°/ Interdire toute condamnation d'issue, de dégagement, d'escalier, d'ascenseur, etc., sauf à se conformer strictement à l'article R26. Déposer tous les systèmes de condamnation non conformes, libérer ces issues des mobiliers qui en empêchent l'ouverture afin que, de tout local ou ensemble de locaux, on puisse constamment accéder à deux issues au moins ».
«14°/ Etablir un balisage conforme aux prescriptions des articles CC45 et R23. »
«18°/ Installer des points lumineux de sécurité en nombre suffisant dans tous les dégagements et changements de direction des cheminements permettant de gagner facilement l'extérieur des bâtiments. »
« 24°/ Supprimer tous les circuits électriques défectueux ou inutilisés. »
« 53°/ Apposer la mention "Sans Issue" sur toutes les portes ne permettant pas de gagner une sortie ».
«58°/ Etablir un système d'alarme dans les conditions fixées à l'article P.44 et procéder à des exercices d'évacuation dans les conditions fixées à l'article R 44 ».
1975
Au cours de 1975, deux études se fondant sur l'analyse de prélèvements d'air, sont menées sur la pollution par l'amiante à Jussieu. L'une est effectuée par le LEPI (Laboratoire d'étude des particules inhalées) et donne lieu en avril à la publication d'un rapport intitulé «Etude de la pollution asbestosique dans les locaux des universités Paris VI et Paris VII», complété en août par un rapport de Jean Bignon sur les «notions actuelles sur la toxicité de l'amiante pour l'homme». L'autre est menée conjointement par l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité) et le CERCHAR (Centre d'études et recherches des charbonnages de France). Elle conduit à la publication de deux rapports, celui de l'INRS, en décembre, «Résultats d'analyses de poussières prélevées dans les locaux des universités de Paris VI et Paris VII», et celui du CERCHAR, en janvier 1976, «Etude de la pollution par l'amiante dans les locaux de l'université Pierre et Marie Curie». Ces études mettent toutes en évidence des niveaux importants de pollution par l'amiante à l'intérieur des locaux de Jussieu dus à la dégradation des flocages, soulignent les différentes sources de pollution et mettent en garde contre les risques de maladie encourus par les personnels.».

Avril : «Etude de la pollution asbestosique dans les locaux des universités de Paris VI et Paris VII

Cette étude relève les différentes causes entraînant une dégradation du flocage d'amiante du campus Jussieu :

«Face à diverses agressions (vieillissement du matériau, altération du liant, érosion éolienne, chocs thermiques ou mécaniques, etc...), ces revêtements peuvent subir une dégradation, source de pollution par l'asbeste de l'air de ces locaux» (p. 1).

Pour évaluer la pollution par l'amiante, le LEPI effectue 30 prélèvements d'air dans différents endroits du campus choisis en fonction «du type de revêtement en asbeste, ou du type d'activités régnant à l'intérieur de ces locaux» et les analyse par microscopie électronique. Les résultats sont exprimés en nanogramme par m3 d'air prélevé.

Le LEPI distingue deux modes de pollution par l'amiante :

«l'émission du polluant à partir de sa source qui est le revêtement et la diffusion du polluant dans l'atmosphère. [...]En ce qui concerne l'émission, on a pu observer que des fibrilles très fines sont émises à partir du revêtement [...] Mais il a pu être constaté par des prélèvements spéciaux, que la dégradation du revêtement libérait également des particules sédimentables. » (p. 6).
Ces particules se diffusent en deux temps :
«sédimentation des produits de dégradation sur le sol, remobilisation de ces débris par le piétinement des usagers et l'activité (moteurs, courant d'air...) régnant dans les locaux» (p. 6).

L'influence notable de l'activité sur la pollution par l'amiante est soulignée par un exemple significatif, celui de :

«[...] l'atelier dans lequel deux prélèvements effectués en pleine période d'activité montrent une concentration de l'ordre de 500 à 700 ng de chrysotile / m3, tandis que deux autres prélèvements effectués après une période de vacances montrent cette fois un niveau de pollution beaucoup plus faible. Ces prélèvements ayant été faits dans un même local par une technique de prise d'air identique, on peut donc considérer que l'activité régnant dans le local est bien dans ce cas le facteur prédominant qui induit de telles différences. Les deux prélèvements effectués pendant les vacances dans les salles de cours, montrent pour la même raison, un très faible niveau de pollution» (p. 6-7).

Par contre, les prélèvements effectués dans les laboratoires, «toujours réalisés en période d'activité et avec une utilisation normale des locaux» montrent des concentrations qui «varient de 4 à plus de 200 ng de chrysotile par m3 d'air» (p. 7). De même, des prélèvements effectués dans des bibliothèques montrent des concentrations « importantes (420 et 680 ng/m3)» (p. 8). La tour centrale où «les locaux sont climatisés et ventilés en permanence» est également mise en exergue, avec des «concentrations pouvant atteindre 30 ng/m3» (p. 8). La pollution par l'amiante la plus élevée est retrouvée dans un atelier où les prélèvements «ont montré des concentrations très importantes (750 ng/m3).» (p. 8).

Enfin, le LEPI souligne la diffusion de la pollution par l'amiante sur l'ensemble du campus, y compris dans l'atmosphère extérieure :

«Les prélèvements réalisés en ambiance extérieure montrent une concentration relativement constante de l'ordre de 2 nanogrammes par m3. Il faut remarquer que cette concentration est légèrement supérieure au niveau général de pollution de Paris» (p. 9).

En conclusion de ce rapport, le LEPI indique que la

«comparaison des concentrations avec celles de l'industrie de l'asbeste n'est pas possible car les fibres sont trop finement séparées pour être visibles au microscope optique ; or la législation actuellement en vigueur pour le contrôle des pollutions asbestosiques impose l'usage du microscope optique. [...] Néammoins, au microscope électronique, qui permet de voir les fines particules qui sont le plus facilement inhalables, certains niveaux de pollution peuvent paraître importants dans la mesure où ils représentent environ 1000 fois les niveaux de pollution que l'on rencontre généralement en pollution atmosphérique extérieure des grands centres urbains» (p. 10).

Août :«Notions actuelles sur la toxicité de l'amiante pour l'homme». Dans ce rapport, Jean Bignon, s'appuyant sur les résultats d'enquêtes épidémiologiques, recense les risques que l'amiante fait courir aux travailleurs de l'industrie et cherche à évaluer ceux auxquels sont exposés les occupants des bâtiments floqués à l'amiante. Il détaille les pathologies induites par l'inhalation d'amiante (lésions bénignes de la plèvre, fibroses, cancers du poumon, de la plèvre et du péritoine), et alerte sur la probable apparition de cancers à la suite d'inhalation de faibles doses d'amiante :

«pour les mésothéliomes, il y a de plus en plus de preuves indiquant que ce type de tumeurs peut survenir pour des expositions modérées, voire faibles, à l'amiante, beaucoup moins importantes que celles qui donnent l'asbestose. Le risque de cancers asbestosiques en rapport avec l'environnement apparaît de plus en plus probable après l'observation de mésothéliomes chez des sujets seulement exposés au voisinage d'une usine d'amiante ou au contact d'un membre de la famille d'un travailleur de l'amiante» (p.7-8).

Il donne dans ce rapport plusieurs résultats d'enquêtes épidémiologiques qui montrent les risques de mésothéliome en rapport avec une exposition faible à l'amiante, et estime que :

«ces cas de mésothéliomes paraissant en rapport avec la pollution de l'environnement par l'asbeste sont très préoccupants» (p. 8).

Ces résultats sont confirmés par des travaux qui :

«démontrent que de nombreux cas de mésothéliomes s'observent avec des concentrations intra-pulmonaires, modérées ou faibles, de fibres d'amiante voisines de celles que l'on observe dans les poumons de nombreux citadins » (p. 8).

Jean Bignon conclut donc qu'il n'y a pas de relation dose-effet pour les cancers provoqués par l'amiante :

«des doses faibles de chrysotile sont suffisantes pour induire la transformation maligne de cellules mésothéliales de la plèvre, ainsi, la cancérogénèse par l'amiante, sans dose oncogène seuil, obéirait-elle aux lois générales de la cancérogénèse chimique ou physique» (p. 8).

Pour tenter d'évaluer la quantité de fibres d'amiante inhalées par les occupants des bâtiments floqués avec ce matériau, Jean Bignon s'interroge sur la méthode la plus adéquate. Deux méthodes de mesures coexistent à l'époque : celle adoptée par les

«hygiénistes industriels [qui] tolèrent jusqu'à 2 fibres par ml d'air visibles au microscope optique » et celle adoptée par les «hygiénistes de l'environnement [qui] font leur mesure au microscope électronique et expriment leur résultat par nombre de microfibrilles (et non plus de fibres) ou par unité pondérale d'asbestes par m3 d'air » (p. 9).

Jean Bignon explique pourquoi les normes industrielles sont inadaptées pour mesurer les risques encourus dans les bâtiments floqués à l'amiante : elles

«ont été décidées par rapport au risque de fibrose asbestosique [et] ne sauraient en aucun cas fournir des indications sur le risque de cancer, étant donné l'absence de relation précise dose-effet cancérigène [de plus,] ces normes industrielles ne prennent pas en compte les pollutions par les fibres infra-microscopiques, qui sont les plus facilement inhalables» (p. 9).

Pour lui, il est cependant possible de :

«comparer les taux d'amiante les plus forts observés au Centre Jussieu/St Bernard à ceux observés dans certaines industries de l'amiante» en [considérant] « qu'à partir de 1000 nanogrammes d'asbeste /m3 d'air, on se trouve dans des concentrations du type pollution industrielle » (p.9).

Les conclusions de Jean Bignon en ce qui concerne les risques courus par les occupants du campus Jussieu sont claires :

«Compte tenu de l'observation de pics élevés de pollution atmosphérique (jusqu'à 800 ng/m3) dans certains locaux de Paris VII, concentrations pouvant approcher celles observées en ambiance industrielle ; et bien que le risque réel encouru à ce niveau de pollution soit pour le moment impossible à déterminer, il paraît difficile d'accepter de laisser le personnel et les étudiants de Paris VII travailler dans de telles conditions d'insécurité pour leur santé » (p. 12-13).

Ayant souligné les risques de maladie liés à l'amiante, Jean Bignon conseille de :

«trouver rapidement les solutions technologiques qui permettront de neutraliser la dégradation des revêtements en amiante dans les locaux de Paris VII » (p. 13).

- Décembre : rapport de l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité), intitulé «Résultats d'analyses de poussières prélevées dans les locaux des universités de Paris VI et Paris VII ».

L'INRS indique le «but poursuivi» par son étude :

«Ces prélèvements font suite aux mesures effectuées en 1974 par le Laboratoire d'Etude des Particules Inhalées qui avait utilisé dans les locaux de l'Université une technique utilisée en pollution urbaine. Ces essais ont mis en évidence des niveaux d'empoussièrement exprimés en nanogrammes d'amiante par m3 qui ont paru excessifs. C'est pourquoi l'INRS et le CERCHAR ont procédé à des prélèvements et des analyses selon des méthodes habituelles en hygiène industrielle» (p. 1).

Les conclusions de l'INRS, rejoignent en fait celles du LEPI, et ne laissent subsister aucun doute sur l'importance de la pollution par l'amiante à Jussieu.

Ce rapport se base comme celui du LEPI sur des prélèvements d'air, qui cette fois-ci «ont toujours été effectués pendant une activité normale de l'atelier ou du laboratoire» (p. 3) et ont été réalisés en huit endroits différents.

Les prélèvements d'air ont été analysés selon plusieurs méthodes, dont la microcopie optique, méthode utilisée en milieu industriel, ce que n'avait pas fait le LEPI. Avec la microscopie optique, on dénombre des fibres (> 5µ) par litre d'air. L'INRS trouve ainsi, selon les endroits, de 2,3 à 19,3 fibres par litre (p. 8).

Pour pouvoir comparer ses résultats avec ceux du LEPI, l'INRS évalue également la concentration pondérale en amiante, et parvient alors à des résultats très proches de ceux du LEPI :

«la concentration pondérale en amiante dans les locaux de Paris Jussieu varie de 200 à 1700 ng/m3. En moyenne elle est égale à 700 ng/m3»(p. 13).

Les concentrations les plus élevées trouvées par l'INRS sont même supérieures à celles trouvées par le LEPI (1700 ng/m3 au lieu de 750 ng/m3).

L'INRS n'ayant fait des prélèvements que dans huit endroits, écrit que «ces résultats ne donnent pas nécessairement une image représentative de l'ensemble des locaux examinés». Il précise cependant que certains locaux

«ne se particularisant en rien (absence de vibrations, sols et murs propres, faux plafonds non déplacés, activité normale...) ont été l'occasion de prélèvements renfermant une quantité d'amiante très supérieure à celle que l'on rencontre dans le milieu urbain» (p. 15).

Enfin, les fiches détaillant les locaux dans lesquels les prélèvements ont été effectués, montrent que le simple examen visuel des lieux indique déjà en 1975 que le flocage est par endroits très dégradé : par exemple, "amiante très endommagé au niveau des étagères et du monorail" (12-13 R.C., p. 26) ou "faux plafond enlevé, amiante très dégradé" (55-65, 1er étage, p. 27) ou encore "amiante dans les placards, endommagé" (44-45, 3e étage, p. 28).

Les résultats de l'INRS confirment donc ceux du LEPI, et dès 1975, l'on pouvait juger alarmante la pollution par l'amiante à Jussieu et prendre les mesures qui s'imposaient.

1976

Janvier : rapport du CERCHAR (Centre d'études et recherches des charbonnages de France), intitulé «Etude de la pollution par l'amiante dans les locaux de l'université Pierre et Marie Curie». S'il en était besoin, ce rapport confirme les précédents.

Le CERCHAR met en avant l'état de dégradation du revêtement en amiante, sur

«la chape de béton au plafond du niveau St-Bernard, sur les poutrelles IPN horizontales et verticales constituant l'ossature des bâtiments et sur certaines conduites» (p. 1).
«Les revêtements au plafond du rez-de-chaussée présentent des états de conservation variables : les uns apparaissent en parfait état, d'autres ont été détériorés par des chocs ou par des travaux destinés à fixer au plafond diverses installations. Dans certains cas, des fragments du revêtement pendent du plafond.

Les poutrelles IPN verticales, enfermées dans des placards dont les portes ne sont pas condamnées, sont recouvertes d'un flocage mou de faible résistance mécanique.

Ce revêtement est généralement détérioré, dans des proportions variables, par la manipulation des objets entreposés dans les placards.

Les poutrelles horizontales sont isolées des locaux et couloirs par un faux plafond constitué de plaques métalliques perforées au-dessus desquelles sont installés les serpentins de chauffage. Après ablation des plaques perforées, on constate dans plusieurs cas que les serpentins sont recouverts d'une fine bourre qui pend au-dessus des plaques. Dans certains locaux et couloirs, des plaques sont enlevées et les poutrelles sont visibles» (p. 1).

Dix ans après le début de la construction de Jussieu, les flocages sont donc déjà dégradés. On se doute, qu'en l'absence de mesures radicales, la situation ne s'est pas améliorée depuis. Or la dégradation des flocages augmente la pollution par l'amiante.

Par ailleurs, le CERCHAR effectue six prélèvements d'air et les analyse par microscopie électronique. Il analyse également en microscopie optique les prélèvements effectués par l'INRS.

L'analyse des mêmes prélèvements d'air que l'INRS, conduite selon la même méthode, donne des «valeurs peu différentes en général» (p. 6) : Le CERCHAR indique que :

«les teneurs les plus élevées ont été trouvées dans le magasin général du rez-de-chaussée 12-13, ainsi que dans le couloir du laboratoire de chimie 44-45, 3ème étage : environ 20 fibres par litre. Cette valeur correspond au centième de la concentration maximale admise dans l'industrie de l'amiante. Par contre, elle est environ trois fois supérieure à la concentration mesurée à Paris, Place de la République, à proximité de feux de signalisation, c'est-à-dire dans une zone de freinage, aux périodes de circulation importante» (p. 6).

Le CERCHAR met en garde contre la seule analyse par microscopie optique (en vigueur dans l'industrie) :

«[...] Le fait de ne pas tenir compte des fibres invisibles au microscope optique par suite de leur faible diamètre ne paraît reposer actuellement sur aucune base scientifique solidement établie»(p. 8-9).
«La microscopie électronique apporte un correctif important à ces données de la microscopie optique. Elle fait apparaître tout d'abord qu'une certaine proportion de fibres > 5 µm peut échapper au comptage optique. [...] Mais la constation la plus importante concerne les agrégats. [...] Ces agrégats, fréquents dans le cas du chrysotile, plus rares dans le cas des amphiboles, peuvent ne comporter que quelques fibres mais le plus souvent ils en contiennent plusieurs dizaines ou centaines. Ces agrégats pouvant, après inhalation, se disperser dans les poumons en libérant les fibres unitaires, il y a lieu d'en tenir compte dans l'appréciation du risque. [...] On constate ainsi que les agrégats, lorqu'il en existe, représentent dans tous les cas un nombre de fibres beaucoup plus élevé que les particules libres» (p. 6-7).

La prise en compte de ces agrégats de fibres conduit à des concentrations plus importantes :

«Il existe dans les locaux de Paris VI une concentration en fibres d'amiante atteignant des valeurs supérieures à 1000 particules par litre d'air» (p. 9).

Le niveau le plus élevé est constaté dans une gaine technique où le CERCHAR trouve environ 10 000 fibres par litre (p. 7).

Le CERCHAR, dans ses conclusions, souligne la diffusion de la pollution par l'amiante sur l'ensemble du campus :

«Bien qu'il apparaisse qu'un revêtement en un point déterminé soit généralement constitué par une seule variété d'amiante, on trouve fréquemment dans l'atmosphère d'un même local des fibres de plusieurs variétés, ce qui montre que la pollution n'est pas due uniquement au revêtement propre au local considéré mais également à des revêtements situés en d'autres points et dont les particules sont entraînées par la ventilation et les autres mouvements de l'air. Il en résulte que l'absence de dégradation du revêtement dans un local ne met pas ce dernier entièrement à l'abri de la pollution » (p. 8).

Cela dit, il ne fait aucun doute pour le CERCHAR, que la dégradation du flocage ne peut qu'augmenter la pollution par l'amiante :

«La teneur la plus élevée a été mesurée dans un local dont le plafond a été dégradé par la pose d'une installation. Il s'avère ainsi qu'une dégradation progressive des revêtements aurait sans nul doute pour conséquence d'accroître la pollution» (p. 8).

Le CERCHAR met également en évidence la «possibilité d'une pollution occasionnelle», notamment lors de l'ouverture des gaines techniques, souvent utilisées comme « placards », par les personnels de Jussieu :

Ainsi,

«lors d'une manipulation d'objets entreposés dans un placard. Une dégradation, en l'occurence faible, du revêtement d'une armature métallique verticale située dans ce placard donne lieu au cours de cette opération à la mise en suspension de fibres d'amiante en quantité nettement plus grande que celles qui correspondent aux concentrations moyennes dans les laboratoires. L'importance de ce phénomène est aggravée par le fait que dans plusieurs cas l'intérieur des placards communique avec les laboratoires par des ouvertures pratiquées dans la cloison» (p. 9).

Enfin, le CERCHAR met en garde contre les risques de maladie encourus par le personnel des universités de Jussieu du fait de la pollution par l'amiante du campus. Le CERCHAR souligne le risque pour le personnel de développer un mésothéliome :

«les déterminations effectuées au microscope optique selon les normes recommandées pour le contrôle de la pollution industrielle sont insuffisantes pour déterminer certains autres risques dus à l'inhalation de fibres d'amiante, notamment le risque de cancer primitif de la plèvre. Les études épidémiologiques ainsi que des analyses de poumons humains tendent en effet à montrer que ce risque n'est pas négligeable, même pour des quantités de fibres d'amiante inhalées relativement faibles » (p. 9).

Les conclusions du CERCHAR sont explicites :

«En conclusion, sachant que les connaissances actuelles ne permettent pas de définir une concentration limite garantissant l'absence de risque de mésothéliome pleural dû à l'inhalation de fibres d'amiante, les quantités de fibres trouvées dans l'atmosphère des locaux de l'Université Pierre et Marie Curie doivent être considérées comme inacceptables.» (p. 9).
1982
Etude SETEC commandée par le SCARIF : «Note de travail sur l'hygiène et la sécurité des personnes». Dans cette note, la SETEC mentionne de nouveau «les risques liés à la présence d'amiante» et relève que
«les problèmes d'hygiène et de sécurité ( et en particulier la sécurité contre les risques d'incendie) posés par l'ensemble universitaire de la Halle aux Vins sont parmi les problèmes les plus préoccupants de l'étude confiée à la SETEC».

Cette étude a pour but de recenser «les risques potentiels sur l'ensemble universitaire» (p. 3). La SETEC rappelle que le campus Jussieu est inachevé, «les dernières tranches de travaux ont été annulées .

La SETEC détaille les « causes et origines des risques », qu'elle regroupe en trois catégories, les « risques liés aux conditions de construction des bâtiments », ceux « liés aux activités propres des laboratoires » et ceux « liés à l'utilisation, à l'organisation et à l'exploitation des locaux » :

«Risques liés aux conditions de construction des bâtiments soit par absence de règlements au moment des construction [...], soit du fait des technologies existantes et utilisées au moment de la construction [...], soit par manque de crédit, par exemple : absence de détection incendie et d'alarme dans les bâtiments A, B, C et F, et dans les bâtiments du gril, soit par concomitance des 3 facteurs ci-dessus.

Risques liés aux activités propres des laboratoires [...].

Risques liés à l'utilisation, à l'organisation et à l'exploitation des locaux :

- comportement des utilisateurs :

  • stockage de produits dangereux (par manque de locaux appropriés),
  • obstruction ou condamnation d'issues et d'accès utilisables en cas de sinistre (du fait des nombreux vols constatés),
  • encombrement des couloirs par des équipements de laboratoires, diminuant de manière importante les unités de passage (du fait du manque de place). »

Enfin, la SETEC dresse une « liste des actions à entreprendre pour améliorer la sécurité et l'hygiène ». La SETEC souligne la nécessité de coordonner les travaux visant à régler le problème posé par l'amiante et ceux nécessaires à l'amélioration de la sécurité incendie :

« Le problème de l'amiante ne pourra être résolu que par une série d'opérations programmées et successives [...]. Les solutions envisagées ont fait l'objet d'essais concluants initiés et commandés par le SCARIF. En cours d'opération, il y aura lieu d'assurer une parfaite coordination entre le traitement propre des surfaces protégées par l'amiante et les autres travaux à entreprendre tendant à améliorer la sécurité ou à rénover certains équipements. »

Dans la longue liste des actions à entreprendre, la SETEC détaille celles concernant :

les « structures et murs », l'« aménagement des bâtiments : gaines [...], escaliers et accès intérieurs [...], escaliers et accès extérieurs [...], ventilation [...], amphithéâtres [...], bâtiments du gril [...] », « installations électriques », « risques lié au gaz et produits inflammables », « détection, alarmes, lutte contre l'incendie », « équipement des laboratoires utilisant des produits radioactifs », « actions liées à l'utilisation anormale des bâtiments : [...] débarrasser les couloirs des matériels qui s'y trouvent, [...] donner un coup d'arrêt à la création de locaux de travail ou de stockage sur les paliers des rotondes du gril [...] et supprimer ensuite ces locaux, s'ils sont contraires aux règles de sécurité, ouvrir et maintenir dégagées les portes séparatives des dégagements du gril ou remplacer les serrures actuelles de ces portes par des systèmes contrôlés permettant le passage en cas de sinistre [...] », « actions liées à l'organisation ».

L'étude des «risques dus à la présence de l'amiante» ne constitue qu'une petite partie de ce rapport.

La localisation de la présence d'amiante effectuée par la SETEC, montre que presque rien n'a été fait depuis 1976. L'amiante est toujours :

«en tour centrale (niveau Jussieu, niveau en élévation au-dessus du niveau Jussieu, bâtiments du gril (niveau Jussieu, niveaux supérieurs du gril au-dessus de la dalle Jussieu)» (p. 20).

Comme dans les études précédentes, l'accent est mis sur la pollution liée à la dégradation du flocage d'amiante,

le «revêtement de feutre d'amiante, ayant tendance à se désagréger et à émettre des particules en suspension dans l'air» (p. 20). Cette pollution, «du fait du peu de cohésion du revêtement » passe par «les joints des panneaux d'obturation des gaines (panneaux de fermeture en tôle pliée dans le gril), les perforations des faux plafonds dans les laboratoires des grils, prévus pour assurer le chauffage par le plafond» (p. 21).
1983
Le SCARIF commande également au BRGM, une nouvelle campagne de mesures de pollution par l'amiante, fondée sur des prélèvements faits, cette fois-ci dans 21 lieux. Le BRGM confirme les rapports précédents, mais contrairement à ceux-ci, le rapport du BRGM donne peu d'indications générales : il détaille les résultats par local où les prélèvements ont été effectués.

Le BRGM rappelle la réglementation en vigueur dans l'industrie (2 fibres /cm3 depuis le décret du 18 août 1977), et les recommandations du Conseil Supérieur d'Hygiène «qui fixe à 50 ng/m3, la concentration pondérale à partir de laquelle, dans les locaux floqués notamment, des mesures de protection du flocage doivent être prises» (annexe). Les résultats des prélèvements effectués par le BRGM, montrent une concentration pondérale en amiante qui va de 1 à 110 ng/m3 selon les endroits, et une concentration numérique qui va de 13 à 39 fibres par litre (p. 6).

Deux exemples :

En 33-43, 1er étage (J 11), le BRGM trouve 28 f/l et 61 ng/m3 (dont 60 d'amphiboles). Le BRGM note :

«A cet étage, le flocage n'a subi aucun traitement. Dans les gaines techniques du couloir, on peut observer le flocage nu, parfois dégradé, avec des débuts de décollement. Le faux-plafond est en général constitué de plaques métalliques ajourées, parfois pleines» et conclut «De toute évidence, les fibres d'amphibole proviennent du flocage qu'il importerait de protéger, dès lors que les prélèvements dans des circonstances peu empoussiérées montrent néammoins une concentration importante en amphiboles fibreuses».

En 22-32, 3e étage (J 17), le BRGM trouve 22f/l et 110 ng/m3 d'amphiboles. Il constate l'état de dégradation du lieu : Dans la pièce 30,

«une plaque de faux-plafond est manquante ; [...] Dans le couloir, les portes ouvrant sur les tours 22 et 32 sont ouvertes, cause d'un léger courant d'air. Les portes de certaines gaines techniques sont cassées ; le flocage posé sur les parois verticales est alors directement en contact avec le couloir» Il note des facteurs aggravant la pollution : "La dégradation du flocage peut être accentuée par les faits constatés suivants : infiltration d'eau provenant de l'étage supérieur, vibrations du plafond, dues aux activités de laboratoires des niveaux supérieurs." Le BRGM conclut : "ces fibres sont essentiellement de l'amphibole fibreuse. La pollution par cet amiante est élevée et traduit de toute évidence une dégradation continue du flocage".

1er juin : note du SCARIF, intitulée «Programme de l'Etude de Faisabilité» concernant le «traitement des flocages d'amiante au niveau de Jussieu et supérieurs du gril 12-66 et de la tour d'administration». Il y est indiqué que le procédé utilisé dans la tranche de travaux «pilotes» de 1982-1983

«donne unanimement satisfaction [...] Mais le prix moyen du traitement atteint environ 700 F. TTC/m2 de plancher et donc en raison du faible budget que l'éducation nationale peut consacrer à l'entretien et à la rénovation de son patrioine immobilier, certains occupants devraient attendre plusieurs dizaines d'années avant de vivre en atmosphère normale. C'est pourquoi il a été décidé d'étudier des procédés moins coûteux. [....] Mais les solutions ainsi mises en oeuvre sont provisoires et imparfaites».
1988

15 février : Rapport de la commission de sécurité de la Préfecture de Police, suite à la visite du gril du 22 janvier. Les 58 recommandations de 1974 en matière de sécurité incendie sur le campus Jussieu, sont devenues 69.

Dans la «liste des mesures dont l'exécution serait souhaitable afin d'améliorer les conditions générales de sécurité de ces bâtiments », on trouve notamment :

«1°/ Porter au degré de réaction et de résistance au feu tous les ouvrages prévus dans le règlement de sécurité approuvé par les arrêtés ministériels des 23 mars 1965, 4 mars 1969 et 15 novembre 1971 relatifs à la protection contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public et plus particulièrement à l'article C0 14 en ce qui concerne les ossatures charpente et plancher, aux articles CO 29 - 2ème alinéa et R 15 en ce qui concerne les cloisons, C0 22 et R 12 en ce qui concerne les escaliers.»
«2°/ Maintenir dégagés en permanence tous les couloirs de dégagements, dégagements, escaliers itinéraires de sortie et d'évacuation ; interdire notamment le stationnement de véhicules à proximité des sorties des amphithéâtres, ainsi que dans les itinéraires réservés pour les interventions des sapeurs-pompiers, le stationnement de cycles et de motocycles dans les dégagements généraux, les stockages de quelque nature qu'ils soient dans les couloirs, escaliers, etc., s'ils en diminuent la largeur au-delà des limites fixées aux articles CO 38, C0 39 et R 25.»
«3°/ Faire ouvrir simultanément et dans le sens de la sortie les vantaux des portes de deux ou trois unités de passage, des dégagements généraux, des escaliers et sorties; y faire ouvrir toutes les portes intérieures ou extérieures des locaux recevant plus de 50 personnes dans le sens de la sortie, dans les conditions fixées à l'article CO 52.»
«4°/ Interdire toute condamnation d'issue, de dégagement, d'escalier, d'ascenseur etc., sauf à se conformer strictement à l'article R 26. Déposer tous les systèmes de condamnation non conformes, libérer ces issues des mobiliers qui en empêchent l'ouverture afin que de tout local ou ensemble de locaux, on puisse constamment accéder à deux issues au moins.»
«12°/ Procéder régulièrement au nettoyage, notamment des parties communes, dans les conditions fixées à l'article CO 74. Procéder notamment à l'enlèvement aussi fréquemment que nécessaire de tous les dépôts de détritus inflammables ou dangereux.»
«24°/ Supprimer tous les circuits électriques défectueux ou inutilisés.»
«26°/ Remettre correctement en état les installations des lampes d'éclairage et remplacer les prises de courant et interrupteurs défectueux.»
«31°/ D'une manière générale, rendre toutes les installations électriques conformes aux spécifications du règlement de sécurité et de la norme précitée.»
«53°/ Apposer la mention "sans issue" sur toutes les portes ne permettant pas de gagner une sortie»
«57°/ Etablir un système d'alarme dans les conditions fixées à l'article R 44 et procéder à des exercices d'évacuation dans les conditions fixées à l'article R 47.»
1989
Une nouvelle campagne de prélèvements est effectuée par le LEPI ; les résultats en seront publiés en 1993 sous le titre «La pollution par l'amiante à Jussieu, la situation en 1989».

C'est la seule étude en 25 ans qui se veut «rassurante». Conduite par Jean Bignon et Patrick Brochard, tous deux membres du Comité Permanent Amiante (CPA), structure de lobbying des industriels de l'amiante, elle constate une diminution quasiment miraculeuse de la pollution par l'amiante sur le campus.

Devant ces résultats étonnants, en l'absence de traitement radical de l'amiante, le LEPI lui-même relativise la portée de son étude :

«seuls 22 sites ont été étudiés en 1989, ce qui constitue un échantillon faible, relativement à l'ensemble du campus. Il conviendrait de vérifier ces données, et de maintenir une surveillance régulière dans l'espace et le temps, compte tenu de l'importance des surfaces floquées à l'amiante et du risque potentiel qui en résulte. En effet, ces résultats ne sont que le reflet de la situation d'un nombre limité de locaux, telle qu'elle était en 1989. Or, il faut tenir compte de l'usure du batiment et de ses structures. La dégradation des flocages ne pourra aller qu'en s'accentuant, surtout là où ils sont accessibles (placards, faux-plafonds déplacés dans les tours,...)» (p. 11).

Enfin, le LEPI note aussi que les conditions dans lesquelles ont été effectués les prélèvements peuvent être à l'origine de ces résultats surprenants :

«les prélèvements d'air n'ont pas toujours pu être menés avec une activité normale à l'intérieur des locaux. Certains d'entre eux sont restés vides, et quelques uns ont même été désertés par leurs occupants en raison du bruit provoqué par les pompes de prélèvement. La remobilisation des particules sédimentées s'en est trouvée de ce fait limitée, ceci pouvant expliquer les faibles concentrations mesurées dans ces locaux» (p. 9).

Le LEPI indique néanmoins que :

«si l'on peut considérer comme faibles, les risques pour les occupants habituels de l'université (administratifs, enseignants, étudiants, ...) étant données les concentrations d'amiante mesurées dans l'air au cours de cette deuxième campagne, il n'en va pas de même pour le personnel de nettoyage ou pour les ouvriers de maintenance» (p.10).

... et dispense quand même quelques conseils de prudence :

«il paraît judicieux à tout le moins, en l'absence d'enlèvement de l'amiante, de suivre dans le temps la pollution de l'air, en multipliant les prélèvements d'air, ceci conformément à l'attitude pragmatique qui prévaut en France vis à vis du problème des batiments floqués à l'amiante. Ces nouveaux prélèvements d'air devraient être choisis non plus seulement en fonction des travaux entrepris, mais en tenant compte de l'état de détérioration, de l'adhésion des flocages ou encore de leur accessibilité, de leur contact avec l'air, ou de l'activité environnante [...] Une attention particulière devra notamment être prise lors de toutes interventions techniques sur les matériaux contenant de l'amiante : maintenance, réparation (électricité, plomberie, climatisation, etc...), surtout si celles-ci nécessitent l'ouverture des placards condamnés. Le personnel technique devra en tout état de cause, être prévenu, et les mesures de précaution prises» (p. 11).
1993

Mars : La plupart des recommandations de 1988 sont toujours d'actualité en 1993 lorsqu'un rapport de la Préfecture de Police daté du 22 mars 1993, pointe encore «un grand nombre d'anomalies, importantes au regard du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public». Ces anomalies « concernent notamment » :

«l'insuffisance d'isolement des locaux à risques ouvrant sur les circulations, l'absence générale de balisage tant dans les locaux de l'Institut de Physique du Globe que dans les circulations communes, à l'exception de signalisation erronée sur les paliers d'escaliers indiquant une possibilité d'évacuation par les terrasses, le stockage et l'utilisation de radio-éléments sans signalisation spécifique sur les portes des locaux, le stockage anarchique de matériels divers dans les placards techniques donnant sur les circulations, le stockage de matériel et matériaux (motos, bobines de câbles électriques, mobilier, etc.) dans les circulations communes et cages d'escalier, l'impossibilité de coupure rapide des installations électriques de chaque niveau, en raison d'un verrouillage des armoires d'étages par les services d'entretien des autres universités, les installations électriques anarchiques tant en basse tension qu'en TBT par la mise en place de câbles cheminant en vrac dans les faux plafonds, la suppression des points lumineux d'éclairage de sécurité dans les circulations dont les faux plafonds ont fait l'objet d'une rénovation, l'absence d'alarme dans l'ensemble des locaux visités, l'absence de consignes de sécurité dans les locaux, l'absence de plans de niveaux, la réalisation d'aménagements sans dépôt de dossier préalable et l'absence de procès-verbaux des matériaux utilisés, l'absence de registre de sécurité pour l'ensemble du campus».

Ce rapport de la commission de sécurité concerne l'Institut de Physique du Globe de Paris, devenu établissement indépendant en mars 1990, mais ses observations ont été également envoyées aux présidents des deux autres établissements du campus, la commission notant que « ces locaux se trouvent de fait imbriqués, sans isolement particulier, avec ceux des universités de Paris VI et Paris VII, ces établissements étant communs par leurs dégagements et leurs équipements techniques et fonctionnels. » A l'occasion de cette visite de l'IPGP, la commission de sécurité de la préfecture de police rappelle qu'elle avait également relevé et notifié aux présidents des universités, des anomalies importantes lors de visites antérieures, le 4 décembre 1987 pour les bâtiments A, B, C et F et le 22 janvier 1988 pour le gril.

Juillet : «Procès-verbal de la commission de Sécurité de la Préfecture de Police», correspondant à la dernière visite globale du campus Jussieu par la Commission de Sécurité. Cette fois, la commission renonce à dresser une nouvelle liste de recommandations. Elle convient avec les universités que :

«les différentes prescriptions formulées par les Commissions de Sécurité des 4 décembre 1987, 22 janvier 1988 et 2 décembre 1992 feront l'objet d'une nouvelle analyse en vue de transmettre un état exact de la situation actuelle à la Direction de la Protection du Public - Sous-Direction de la Sécurité du Public - 8e bureau».

Au lieu de mettre en oeuvre les recommandations, on ne fait plus passer la commission de sécurité...

1995

23 novembre : remise du Rapport SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT sur le « traitement des surfaces amiantées - sécurité électrique - sécurité incendie - du campus Jussieu : diagnostic et étude de faisabilité des travaux». Ce rapport volumineux, fruit de 4 mois de travail relève une fois de plus et de façon très détaillée, l'ensemble des risques dus à la présence de flocages d'amiante à Jussieu, ainsi que ceux dus au non respect des normes en matière de sécurité incendie et électricité, préconise des travaux de retrait rapide, global et massif de l'amiante et de mise aux normes sécurité incendie et électricité, en évalue le montant (880 millions de francs) et la durée (3 ans pour des travaux par tranches).

Pour ce qui est du problème posé par l'amiante, le groupement d'experts remet un rapport intitulé « Traitement des surfaces amiantées du campus de Jussieu, diagnostic et étude de faisabilité ». Effectuant une visite systématique de tous les locaux, les experts ont émis un diagnostic visuel, méthode alors en vigueur dans de nombreux pays et qui sera imposée dans la législation française à partir de février 1996.

Le résultat du diagnostic est sans appel : il confirme les risques relevés dans les études antérieures, constate que les mesures correctives nécessaires n'ont pas été prises et que les mesures de sécurité élémentaires ne sont pas respectées :

«les flocages d'amiante, appliqués lors de la construction des bâtiments sur les poutres et poteaux intérieurs en acier [...] sont toujours présents dans leur quasi-totalité [et] dans la plus grande partie des locaux, [les flocages] sont dans un état de dégradation avancée» (p. 15).

Il en résulte une pollution par l'amiante importante et « la protection au feu des structures est très amoindrie, voire inexistante par endroits » (résumé général, p. 2).

Les conclusions du rapport sont précises et fermes : il recommande «une opération globale, rapide et massive d'enlèvement complet de l'amiante» ainsi que l'exécution immédiate de travaux de protection provisoire. Il ajoute:

« dans beaucoup d'autres contextes, la présence du flocage et son état seraient suffisants pour déclencher des travaux correctifs et pour imposer d'urgence des mesures conservatoires strictes. A cette action relevant déjà d'actions urgentes s'ajoutent des conditions propres au site qui orientent vers un traitement intégral des flocages : pollution d'ambiance notable, risques d'expositions élevées lors de travaux de maintenance, besoin de dépoussiérage global, difficulté d'appliquer les consignes de prévention et les prescriptions techniques, contraintes permanentes pour tous travaux, dispersion des initiatives et absence de suivi dans le temps.

Des solutions d'attente envisageables par exemple pour un immeuble de bureaux de taille réduite seraient difficilement applicables à l'échelle de Jussieu, en-dehors du fait que ce site ressort comme un cas prioritaire à traiter parmi les bâtiments publics floqués en France » (p. 36).

Le rapport SETEC préconise des travaux de retrait de l'amiante et propose une organisation des travaux par tranches qui porte leur durée de réalisation à trois ans. Le coût du retrait de l'amiante et de son remplacement par un produit coupe-feu inoffensif est évalué à 700 millions de francs TTC.

La sécurité électrique est le deuxième point étudié par la SETEC ; elle fait l'objet d'un rapport intitulé «Sécurité électrique du campus de Jussieu - Diagnostic et étude de faisabilité». Dans le «résumé général» des différents rapports remis par le groupement SETEC, la SETEC Bâtiment reprend les « principales constatations » faites lors de l'examen des installations électriques basse tension :

  • «Equipement basse tension des postes de transformation :
    • - obsolescence du matériel, disparité des origines et des principes de mise en œuvre,
    • - dangers d'électrocution et d'incendie dus au manque ou l'absence de protections.
  • Distributions et armoires secondaires :
    • - difficultés d'exploitation dues à l'imbrication et la variabilité des zones d'influence des postes,
    • - problèmes de sélectivité entre fusibles des différents réseaux,
    • - non-conformité des protections et des moyens de coupures- dangers d'électrocution et d'incendie.
  • Appareils d'éclairage normal, appareillage et prises de terre :
    • - non-conformité de nombreux luminaires,
    • - risques d'électrocution dus à l'absence de mise à la terre des luminaires et à l'état de certains terminaux cassés ou arrachés,
    • - non-conformité des prises de terre et des conducteurs de terre.
  • Eclairage de sécurité :
    • - non-conformité des sources de sécurité (isolement coupe-feu) »

Pour chaque point étudié, la SETEC souligne les problèmes de non-conformité des installations électriques et les «dangers d'électrocution et d'incendie» que cela entraîne. Elle évalue le coût de la remise en conformité électrique à 150 millions de francs TTC.

Le dernier problème étudié par la SETEC en novembre 1995 est celui de la sécurité incendie ; il donne lieu à un rapport intitulé « Sécurité incendie du campus de Jussieu ». Comme dans le cas de la sécurité électrique, il s'agit pour la SETEC d'examiner la conformité des installations, de proposer des travaux et d'en évaluer le coût.

En matière de sécurité incendie la SETEC note des risques posés par l'utilisation des bâtiments:

« une partie des portes donnant accès aux rotondes sont (pour des raisons de sûreté) condamnées soit : par des verrous supplémentaires, par des profilés métalliques de toutes sortes, par des plaques de tôle vissées sur les vantaux.

Ces dispositifs annihilent le fonctionnement des barres anti panique et créent à chaque fois un cul de sac très dangereux en cas d'incendie.

D'autre part, l'accès par les rotondes à certaines circulations est contrôlé par des portes équipées de digicode ou autre système équivalent. Souvent des objets stockés dans les circulations en diminuent la largeur et peuvent gêner l'évacuation des personnes en cas d'incendie. » (p. 8).

La SETEC note également que les exercices de sécurité

«n'ont pas lieu dans l'ERP, puisqu'il n'est équipé que très partiellement de système d'alarme. » (p. 10) -- « 18% des zones sont équipées avec des diffuseurs sonores et des bris de glaces» (p. 6).

En ce qui concerne la structure du bâtiment, le rapport SETEC souligne nettement que la remise aux normes en matière de sécurité incendie et électricité nécessite que le désamiantage soit effectué au préalable :

«L'hypothèse émise dans la suite du document est que le gril sera doté d'une stabilité au feu 1 heure et demie. Cette hypothèse est motivée par les conclusions du rapport sur le désamiantage, opération qui s'avère indispensable à l'ensemble du gril. Lors de ces travaux de désamiantage, la structure métallique sera pourvue d'un revêtement la rendant stable au feu 1 heure et demie au moins. Ces travaux s'avèrent donc être un pré-requis pour l'analyse de la sécurité incendie.» (p. 15).

La stabilité actuelle au feu serait d'une demie heure, «suite à la dégradation des flocages » (p. 6).

Une fois l'amiante retiré et remplacé par un autre revêtement coupe-feu, la SETEC préconise notamment:

la mise en place d'un « équipement d'alarme », la «mise à l'abri des fumées des cages d'escalier », le «désenfumage des circulations », la «division du gril en compartiments », des «créations d'issues de secours »; dans les barres 46/00 ou 26/00, le «recoupement et rétablissement des circulations », etc. (p. 15-19)

Le montant des travaux de mise en sécurité incendie est évalué à 30 millions de francs TTC. Ainsi, le coût global des travaux de désamiantage et de remise aux normes de sécurité incendie et électrique, est-il évalué par le groupement SETEC à 880 millions de francs TTC en novembre 1995.

1997

Mi-octobre: le rapport Le Déaut pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques, « L'amiante dans l'environnement de l'homme : ses conséquences et son avenir» relève «une léthargie certaine au ministère de l'Education Nationale» soulignant que

«c'est la gestion de la présence d'amiante sur le campus Jussieu qui apparaît difficilement compréhensible puisque, dès 1975, à la faveur d'une action du Comité anti-amiante, on connaissait l'existence de flocages d'amiante en mauvais état à Jussieu essentiellement dans le gril d'Albert, construit entre 1964 et 1971. A partir de 1977, des travaux ont certes été réalisés (enduction de plâtre ou capotage de l'amiante, remplacement des faux plafonds perforés par des faux plafonds étanches ou pose d'une toile de PVC sous les faux plafonds existants). Mais ce n'était que des solutions partielles qui n'ont pas été à la hauteur du problème. Le diagnostic des surfaces amiantées, confié par le ministère de l'Education Nationale à trois entreprises spécialisées internationalement reconnues - Fibrecount (Belgique), Eurotec (Allemagne) et BRGMN (France) -, et remis le 23 novembre 1995, était sans appel : dans la plus grande partie des locaux de superstructure de la tour et du gril, les flocages sont dans un état de dégradation avancée et les protections contre la dissémination des poussières ne sont pas satisfaisantes ; les entreprises recommandaient donc une opération globale, massive et rapide d'enlèvement complet de l'amiante des tours et du gril».

20 octobre : saisi par le Comité Anti-Amiante Jussieu qui demande un constat d'urgence sur la sécurité amiante et incendie sur le gril Albert, le Tribunal Administratif de Paris désigne un expert pour effectuer ce constat. Cet expert auprès du Tribunal Administratif remet son rapport en novembre. Il est éloquent : des gaines techniques qui auraient dû être fermées sont ouvertes, des plastiques se décollent et de nombreux manquements à la sécurité incendie dans les Etablissements Recevant du Public sont pointés ; ils relèvent pour la plupart d'une mauvaise utilisation des bâtiments : portes à mi-couloir fermées, couloirs encombrés, sorties de bibliothèques condamnées bloquant ainsi l'évacuation dans un établissement recevant 40 000 étudiants et 10 000 personnels et qui ne dispose pas d'un signal d'alarme incendie. Les problèmes liés à la structure du bâtiment ont fait et feront l'objet d'autres expertises ; l'expert les relève et indique à propos de ces problèmes que:

«les travaux effectués sur le chantier expérimental relatif au corps de bâtiments 23-13 ont permis d'éliminer, pour cette seule partie du gril, les anomalies constatées précédemment».

En ce qui concerne :

«les anomalies relevées dans le cadre de l'expertise (c'est-à-dire concernant la réalisation des mesures d'urgence).

- La protection contre l'amiante

Les défauts constatés concernent:

  • - d'une part les gaines techniques verticales non neutralisées [...]
  • - d'autre part les faux plafonds :
    • . décollement du film adhésif rotonde 53 1er étage (Paris VI et VII)
    • . désolidarisation du faux plafond de trois spots électriques dégagement 53-54 (Paris VII).

L'expert souligne :

«Il convient de rappeler que si les dispositions prises pour neutraliser, autant que faire se peut, la nocivité due à la présence d'amiante étaient urgentes, elles étaient également provisoires.

Le temps, la relative fragilité des matériaux mis en oeuvre, l'exploitation importante et quasi permanente des locaux, l'inconscience des uns et parfois la malveillance des autres, constituent autant d'ennemis du « provisoire ».

La maintenance est donc aussi nécessaire qu'importante. Mais il convient également de rappeler que toute anomalie constatée tant pour les gaines techniques que pour les faux-plafonds requiert l'intervention de services ou d'entreprises spécialisées ce qui temporise assez radicalement l'effet d'urgence de l'intervention.

Enfin il convient de signaler que ces mesures provisoires ont pour inconvénient de constituer un obstacle à toute intervention sur les installations électriques et en particulier à une coupure rapide du courant en cas de besoin du fait de la présence des armoires électriques dans les gaines techniques verticales traitées à l'amiante.

Dans ces conditions, et bien que les mesures d'empoussièrement effectuées dans le courant de l'année, à la suite des travaux d'urgence montrent une situation stabilisée et respectant actuellement les limites fixées par le décret n° 96-97 du 7 février 1996, il paraît nécessaire de faire procéder aux travaux prévus par l'autorité de tutelle pour assurer la sécurité générale du Campus Jussieu. »

En ce qui concerne la sécurité incendie, l'expert indique que compte tenu des problèmes bien connus liés à la structure des bâtiments :

« il est d'autant plus indispensable de pouvoir respecter la notion fondamentale et primordiale sur laquelle est basée toute la doctrine de la sécurité contre l'incendie à savoir:

L'EVACUATION RAPIDE DES PERSONNES.

Le constat montre à l'évidence que les dispositions devant aboutir à cette obligation de résultats ne sont pas respectées :

[...]

En effet, les anomalies concernent essentiellement la vacuité des dégagements et des sorties. Elles se traduisent par :

  • - la neutralisation ou la condamnation des portes destinées aux sorties dites "de secours" soit par verrouillage, soit par encombrement (bibliothèque, salle de réunion etc.
  • - la condamnation des portes d'intercommunication entre services dans les corps de bâtiments situés entre les rotondes ayant pour conséquence la création de nombreux "culs-de-sac".
  • - le stockage de matériel divers dans les dégagements des corps de bâtiments et dans certaines rotondes.
  • - l'occupation à des fins d'enseignement de dégagements situés entre les laboratoires et réservés à la seule évacuation des personnes et la mise en place du matériel correspondant, l'ensemble constituant une entrave à la libre circulation des personnes et donc à leur évacuation en cas d'incident ou d'incendie.»

1998

Février: rapport Casso sur la sécurité incendie sur le gril Albert. Parmi l'ensemble des problèmes recensés, on trouve les sureffectifs et la faible tenue au feu de la structure qui sera évaluée plus précisément en octobre dans une «Synthèse de l'état des lieux en matière de sécurité incendie des ouvrages».

En ce qui concerne les effectifs,

«L'enquête réalisée fait apparaître que pour 15 barres du Gril, le nombre et la largeur des dégagements sont insuffisants au vu des effectifs admissibles».

En ce qui concerne la tenue au feu de la structure, au lieu des 1h30 réglementaires,

«L'ouvrage présente actuellement une stabilité au feu de l'ordre d'une dizaine de minutes».

Le cabinet Casso ne manque pas de relever une fois de plus les nombreuses anomalies constatées de multiples fois dans les bâtiments du Gril. Citons notamment :

«Les portes encloisonnant les locaux ne présentent pas toutes le degré pare-flamme une demi-heure demandé [...].

Les locaux où sont entreposés les produits inflammables, chimique ou toxiques, ne sont pas isolés dans des locaux spécifiques coupe-feu.

La nature et les quantités de produits utilisés sont, pour certains locaux, en nombre important, dépassant le seuil autorisé.

Des colonnes montantes de gaz, non ventilées, mais neutralisées, sont situées dans les circulations.

Les circulations sont encombrées par des dépôts ou stockage de matériels divers.

Certains services n'utilisant qu'une demi-barre sont isolés de l'autre demi-barre par des portes d'intercommunication.

Ces portes sont condamnées de part et d'autre par des dispositifs fermant à clef et de barres anti-intrusion, provoquant des culs-de-sac importants.

De nombreuses gaines d'extraction de sorbonnes ne sont pas isolées coupe-feu dans leur traversée avec d'autres locaux et pour certaines sont mal raccordées avec les moteurs d'extraction[...]

En ce qui concerne les escaliers desservant les étages (dans les rotondes) :

«Ces escaliers ne répondent pas aux caractéristiques demandés pour les escaliers à l'abri des fumées. Ils ne sont pas encloisonnés et mettent en communication tous les niveaux depuis les sous-sols.

Ils sont ceinturés par une circulation horizontale, sur laquelle débouchent les circulations des barres des bâtiments, des bureaux et des locaux divers, ainsi que les galeries techniques des sous-sols. Ils ne sont pas isolés coupe-feu vis à vis des voies intérieures, au niveau du rez-de-chaussée bas, voies dans lesquelles circulent des véhicules et où se trouvent églement des prises d'air frais et des rejets de ventilation de locaux, l'accès au parc de stationnement, ainsi que des sorties de salles et locaux divers.

L'isolement coupe-feu n'est pas réalisé au niveau du faux-plafond et des joints de dilatation.

Des gaines techniques se trouvent dans les escaliers.

Il n'existe pas d'ouvrant de désenfumage en partie haute.

[...]

Des matériaux divers, containers -tourets de câbles, bouteilles de gaz, etc. ainsi que des bicyclettes et motocycles sont stockés ou remisés dans l'emprise des escaliers, au niveau des rez-de-chaussée bas et des sous-sols.»

En ce qui concerne les dégagements :

«Il existe des culs-de-sac importants dans les niveaux n'utilisant qu'une demi-barre.

Les portes d'intercommunication sont condamnées par des verrous ou serrures fermant à clef ou autres dispositifs non décondamnables.»

29 juillet : Claude Got remet un rapport commandé par la ministre de l'emploi, Martine Aubry, sur «la gestion dans lequel il donne à propos du désamiantage de Jussieu son avis à la date du «30 avril 1998». Claude Got ne manque pas de relever les problèmes liés à la présence d'amiante, malgré les mesures provisoires d'urgence, et les problèmes de sécurité incendie. A propos du nouveau calendrier annoncé en avril par l'établissement public chargé de conduire les travaux, Claude Got écrit :

«Il est possible d'accepter l'allongement des délais prévus par le plan précédent de trois à cinq ans. Le gouvernement perdrait toute crédibilité sur ce dossier si les décisions des mois à venir prouvent que ce nouveau délai ne sera pas respecté.».