Comité Anti-Amiante Jussieu: plainte pour mise en danger d'autrui

PLAINTE AVEC CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE

POUR MISE EN DANGER D'AUTRUI

déposée auprès du

Tribunal de Grande Instance de Paris

par le

Comité Anti Amiante Jussieu

et plusieurs personnes travaillant sur le campus

avec pour avocats

Maître Michel LEDOUX, Avocat au barreau de PARIS,

Maître Jean-Paul TEISSONNIERE, Avocat au barreau de PARIS,


TABLE DES MATIERES


1. Amiante, Incendie : une mise en danger délibérée.

Le campus Jussieu comprend trois établissements : l'Université Paris 6 (Pierre et Marie Curie), l'Université Paris 7 (Denis Diderot) et l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), établissement indépendant depuis mars 1990.

Les dangers liés à la présence d'amiante et au non respect des normes de sécurité incendie sur le campus Jussieu sont bien connus de tous les responsables, au niveau des établissements comme des autorités de tutelle, depuis 1974.

Ils ont été rappelés régulièrement et avec insistance dans de nombreux rapports officiels. La dernier rapport d'expertise, en date du 23 novembre 1995, réalisé par un groupement international SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT, recommande fermement un retrait rapide, massif et global de l'amiante et une mise aux normes de sécurité incendie et électricité.

Le 30 septembre 1996, un plan de désamiantage et de mise aux normes en matière de sécurité incendie et électricité a été annoncé par le Ministre de l'Education Nationale, François Bayrou. Ce plan a été formalisé par la signature d'un contrat de désamiantage le 4 décembre 1996, engageant l'Etat et les établissements.

Mais, en septembre 1997, 20 ans après les premiers rapports, deux ans après la remise du rapport SETEC préconisant un retrait rapide, massif et global de l'amiante et une mise aux normes de sécurité incendie et électricité, un an après l'annonce du plan de désamiantage, les travaux n'ont pas commencé sur le campus Jussieu. Les locaux provisoires nécessaires à la réalisation des travaux n'ont pas été mis en place. Les appels d'offre aux entreprises chargées de désamianter et de remettre aux normes de sécurité n'ont pas été lancés.

Les délais techniquement nécessaires pour la réalisation complète des travaux, avaient été évalués à trois ans par le rapport SETEC. Compte tenu de la gravité des risques liés à la présence d'amiante et au non respect des normes de sécurité incendie, à l'immédiateté du danger, tout délai supplémentaire, relevant d'autres considérations que la santé publique et la sécurité, est inacceptable.

L'amiante constitue un risque avéré : il provoque actuellement plus de 2000 décès par an en France (selon le rapport INSERM de 1996) et le nombre de cancers de l'amiante augmente de 25 % tous les trois ans. La principale source d'exposition est l'amiante en place dans les bâtiments. Sont concernées en premier lieu, toutes les personnes qui assurent des travaux de maintenance ou d'entretien dans ces bâtiments. A Jussieu plusieurs centaines de personnes ont assuré, quotidiennement ou occasionnellement, ce type de travaux. Les simples occupants ne sont pas à l'abri de ce risque non plus, comme le souligne le rapport INSERM : analysant « l'absence de données épidémiologiques actuellement disponibles » concernant ce type d'exposition (due notamment aux temps de latence des maladies dues à l'amiante), il avertit: « il faut insister de façon très vigoureuse pour affirmer que cet état de fait ne permet pas d'affirmer qu'un tel risque est exclu, ni même qu'il ne pourrait être que faible. »

En matière de sécurité incendie, deux grandes catégories de risques existent à Jussieu: ceux liés à l'utilisation du bâtiment et ceux liés au bâtiment lui-même.

Pour les risques liés à l'utilisation du bâtiment, la mise en sécurité aurait pu et dû se faire depuis longtemps. La liste est longue des règles de sécurité élémentaires qui ne sont pas respectées : circulations encombrées, portes à mi-couloir fermées formant des culs-de-sac, issues de secours condamnées dans des salles accueillant un public nombreux, etc. Tout cela constitue un facteur de risque considérable en cas d'incendie. Rien ne s'oppose à ce qu'il y soit porté remède immédiatement, sinon le mépris des responsables pour les questions de sécurité.

En ce qui concerne les risques liés au bâtiment lui-même - risque de propagation du feu entre les étages, tenue au feu des structures, etc. - la mise aux normes ne peut se faire sans avoir au préalable retiré l'amiante. Tout retard dans le désamiantage entraîne donc également un retard dans la mise aux normes de sécurité incendie.

Or, depuis l'annonce du plan de désamiantage, il y a un an, les retards se sont accumulés pour des raisons sans lien avec les problèmes de santé et de sécurité. Outre le peu d'empressement des pouvoirs publics, qui dure depuis plus de 20 ans, des obstacles à la réalisation du plan ont été mis délibérément par deux des trois établissements du campus : l'Université Paris 7 et l'Institut de Physique du Globe.

Néanmoins un Etablissement Public, chargé de la conduite des opérations de désamiantage, a été créé le 18 avril 1997 et un président de cet établissement nommé quelques jours plus tard.

Mais depuis la prise de fonction du nouveau Ministre de l'Education, Claude Allègre, le dossier est complètement bloqué. Les appels d'offre prévus pour la construction de locaux provisoires et la première tranche de travaux n'ont pas été lancés. Même la mise en place de l'Etablissement Public, qui est chargé de la conduite des opérations de désamiantage n'a pas été effectuée. Seuls les opérations dont l'Université Paris 6 avait la maîtrise se sont poursuivies normalement.

Alors que le nombre de cas de maladies professionnelles liés à l'amiante ne cesse d'augmenter, que les incendies se multiplient, les retards injustifiés dans l'application du plan de désamiantage et de remise aux normes de sécurité incendie et électricité exposent l'ensemble des personnels et étudiants à des risques graves et immédiats pour leur santé et leur sécurité.

2. La connaissance des dangers liés à l'amiante et à l'incendie sur le campus Jussieu

2.1. Les premiers rapports (1974-1975).

Dès 1974, des rapports ont mis en évidence tant les dangers liés à la présence d'amiante à Jussieu que ceux engendrés par la non conformité en matière de sécurité incendie sur le campus.

En ce qui concerne l'amiante, après la découverte par des chercheurs du campus d'une pollution par l'amiante en provenance de la structure métallique des bâtiments, qui perturbait leurs expériences, une première étude est effectuée en 1974 par le Laboratoire d'Etudes des Particules Inhalées (LEPI) . Cette étude, intitulée Etude de la pollution asbestosique dans les locaux des universités Paris VI et Paris VII, relève des niveaux de pollution importants qui :

« représentent environ 1000 fois les niveaux de pollution que l'on rencontre généralement en pollution atmosphérique extérieure des grands centres urbains » (p. 10).

L'étude du LEPI, fondée sur des prélèvements d'air et mettant en évidence des niveaux importants de pollution par l'amiante à l'intérieur des locaux du campus Jussieu, est complétée en août 1975 par un rapport du professeur Jean Bignon, sur les notions actuelles sur la toxicité de l'amiante pour l'homme. Ce rapport détaille les pathologies induites par l'inhalation d'amiante (lésions bénignes de la plèvre, fibroses, cancers du poumon, de la plèvre et du péritoine), et alerte sur la probable apparition de cancers à la suite d'inhalation de faibles doses d'amiante :

« pour les mésothéliomes, il y a de plus en plus de preuves indiquant que ce type de tumeurs peut survenir pour des expositions modérées , voire faibles, à l'amiante, beaucoup moins importantes que celles qui donnent l'asbestose. Le risque de cancers asbestosiques en rapport avec l'environnement apparaît de plus en plus probable après l'observation de mésothéliomes chez des sujets seulement exposés au voisinage d'une mine d'amiante ou au contact d'un membre de la famille du travailleur de l'amiante ». (p.7-8).

En ce qui concerne les occupants du campus Jussieu, Jean Bignon énonce clairement les conséquences qu'il faut en tirer :

« Compte tenu de l'observation de pics élevés de pollution atmosphérique (jusqu'à 800 ng/m3) dans certains locaux de Paris VII […] il paraît difficile de laisser le personnel et les étudiants de Paris VII travailler dans de telles conditions d'insécurité pour la santé. »

Une étude menée conjointement par le Centre d'Etudes et de Recherches des Charbonnages de France (CERCHAR) et l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) donne lieu à la publication de deux rapports, Résultats d'analyse de poussières prélevées dans les locaux des universités Paris VI et Paris VII, par l'INRS en décembre 1975 et Etude de la pollution par l'amiante dans les locaux de l'université Pierre et Marie Curie, par le CERCHAR en janvier 1976. Ceux-ci confirment les observations des premières études, à la fois sur l'importance de la pollution par l'amiante à Jussieu et sur les dangers graves que cette pollution fait courir aux usagers du campus. La conclusion de l'étude du CERCHAR est la suivante :

« En conclusion, sachant que les connaissances ne permettent pas de définir une concentration limite garantissant l'absence de risque de mésothéliome pleural dû à l'inhalation de fibres d'amiante, les quantité de fibres trouvées dans l'atmosphère des locaux de l'Université Pierre et Marie Curie doivent être considérés comme inacceptables. »

Pour ce qui est de la sécurité incendie, le premier rapport date du 26 juillet 1974. Ce rapport effectué par la sous-commission de Sécurité de la Préfecture de Police, et adressé aux présidences des universités Paris 6 et Paris 7, recense les graves problèmes de sécurité incendie sur le campus. Il dresse une liste impressionnante de 58 recommandations à mettre en oeuvre pour assurer la sécurité incendie sur le campus dont celles-ci :

« 1°/ Porter au degré de réaction et de résistance au feu tous les ouvrages prévus dans le règlement de sécurité approuvé par les arrêtés ministériels des 23 mars 1965, 4 mars 1969 et 15 novembre 1971 relatifs à la protection contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public et plus particulièrement à l'article C014 en ce qui concerne les ossatures, charpente et planchers, aux articles C029 2ème alinéa et R15 en ce qui concerne les cloisons, C022 et R12 en ce qui concerne les escaliers. »

« 2°/ Maintenir dégagés en permanence tous les couloirs de dégagement, dégagements, escaliers, itinéraires de sortie et d'évacuation, interdire notamment le stationnement de véhicules à proximité des sorties des amphithéâtres ainsi que dans les itinéraires réservés pour les interventions des sapeurs-pompiers, le stationnement de cycles et de motocycles dans les dégagements généraux, les stockages de quelque nature qu'ils soient dans les couloirs, escaliers, etc., s'ils en diminuent la largeur au-delà des limites fixées aux articles C038 -C039 et R 25. »

« 4°/ Interdire toute condamnation d'issue, de dégagement, d'escalier, d'ascenseur, etc., sauf à se conformer strictement à l'article R26. Déposer tous les systèmes de condamnation non conformes, libérer ces issues des mobiliers qui en empêchent l'ouverture afin que, de tout local ou ensemble de locaux, on puisse constamment accéder à deux issues au moins ».

« 14°/ Etablir un balisage conforme aux prescriptions des articles CC45 et R23. »

« 18°/ Installer des points lumineux de sécurité en nombre suffisant dans tous les dégagements et changements de direction des cheminements permettant de gagner facilement l'extérieur des bâtiments. »

« 24°/ Supprimer tous les circuits électriques défectueux ou inutilisés. »

« 53°/ Apposer la mention « Sans Issue » sur toutes les portes ne permettant pas de gagner une sortie ».

« 58°/ Etablir un système d'alarme dans les conditions fixées à l'article P.44 et procéder à des exercices d'évacuation dans les conditions fixées à l'article R 47. »

2.2 Vingt années d'inaction.

Dès les premiers rapports de 1974 et 1975, les risques liés à l'amiante et à l'incendie étaient parfaitement décrits et des recommandations énoncées. Pourtant les actions correctives nécessaires ne seront pas menées. Seule sera entreprise en 1976 une première tranche de travaux d'enrobage de l'amiante concernant uniquement le rez-de-chaussée. Après une longue interruption, elle ne sera achevée qu'en 1979, grâce à la mobilisation des personnels.

Les rapports vont ensuite s'accumuler sans susciter de réaction.

En 1982, dans une « note de travail sur l'hygiène et la sécurité des personnes », la SETEC mentionne de nouveau « les risques dus à la présence d'amiante », et relève également que « Les problèmes d'hygiène et de sécurité ( et en particulier la sécurité contre les risques d'incendie ) posés par l'ensemble universitaire de la Halle aux Vins sont parmi les problèmes les plus préoccupants de l'étude confiée à la SETEC. »

Elle rappelle que « depuis de nombreuses années, l'attention des Pouvoirs publics a été attirée sur ce problème comme en témoignent : les courriers adressés par la Préfecture de Police aux Présidents des 2 Universités ( et en particulier, la lettre du 26 juin 1974 qui comportait une liste détaillée des mesures à prendre concernant la sécurité contre l'incendie ). »

La SETEC détaille les « causes et origines des risques », qu'elle regroupe en trois catégories, les « risques liés aux conditions de construction des bâtiments », ceux « liés aux activités propres des laboratoires »et ceux « liés à l'utilisation, à l'organisation et à l'exploitation des locaux » :

« Risques liés aux conditions de construction des bâtiments soit par absence de règlements au moment des construction [...], soit du fait des technologies existantes et utilisées au moment de la construction [...], soit par manque de crédit, par exemple : absence de détection incendie et d'alarme dans les bâtiments A, B, C et F, et dans les bâtiments du gril, soit par concomitance des 3 facteurs ci-dessus.

Risques liés aux activités propres des laboratoires [...].

Risques liés à l'utilisation, à l'organisation et à l'exploitation des locaux :

. comportement des utilisateurs :

- stockage de produits dangereux (par manque de locaux appropriés),

- obstruction ou condamnation d'issues et d'accès utilisables en cas de sinistre (du fait des nombreux vols constatés),

- encombrement des couloirs par des équipements de laboratoires, diminuant de manière importante les unités de passage (du fait du manque de place). »

Enfin, la SETEC dresse une « liste des actions à entreprendre pour améliorer la sécurité et l'hygiène ». La SETEC souligne la nécessité de coordonner les travaux visant à régler le problème posé par l'amiante et ceux nécessaires à l'amélioration de la sécurité incendie :

« Le problème de l'amiante ne pourra être résolu que par une série d'opérations programmées et successives [...]. Les solutions envisagées ont fait l'objet d'essais concluants initiés et commandés par le SCARIF. En cours d'opération, il y aura lieu d'assurer une parfaite coordination entre le traitement propre des surfaces protégées par l'amiante et les autres travaux à entreprendre tendant à améliorer la sécurité ou à rénover certains équipements. »

Dans la longue liste des actions à entreprendre, la SETEC détaille celles concernant :

[les] « structures et murs », [l']« aménagement des bâtiments : gaines [...], escaliers et accès intérieurs [...], escaliers et accès extérieurs [...], ventilation [...], amphithéâtres [...], bâtiments du gril [...] », « installations électriques », « risques lié au gaz et produits inflammables », « détection, alarmes, lutte contre l'incendie », « équipement des laboratoires utilisant des produits radioactifs », « actions liées à l'utilisation anormale des bâtiments : [...] débarrasser les couloirs des matériels qui s'y trouvent, [...] donner un coup d'arrêt à la création de locaux de travail ou de stockage sur les paliers des rotondes du gril [...] et supprimer ensuite ces locaux, s'ils sont contraires aux règles de sécurité, ouvrir et maintenir dégagées les portes séparatives des dégagements du gril ou remplacer les serrures actuelles de ces portes par des systèmes contrôlés permettant le passage en cas de sinistre [...] », « actions liées à l'organisation ».

En 1983, une « campagne de mesures de pollution par l'amiante sur le campus Jussieu» est conduite par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM). Elle confirme clairement les observations des études précédentes sur la pollution par l'amiante à Jussieu.

En ce qui concerne la sécurité incendie, les 58 recommandations émises par la Préfecture de Police en 1974 sont passées au nombre de 69 en 1988, à la suite d'une visite effectuée sur le campus Jussieu par la commission de sécurité de la préfecture de police et suivie d'un rapport daté du 15 février 1988. Dans la « liste des mesures dont l'exécution serait souhaitable afin d'améliorer les conditions générales de sécurité de ces bâtiments », on trouve notamment :

« 1°/ Porter au degré de réaction et de résistance au feu tous les ouvrages prévus dans le règlement de sécurité approuvé par les arrêtés ministériels des 23 mars 1965, 4 mars 1969 et 15 novembre 1971 relatifs à la protection contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public et plus particulièrement à l'article C0  14 en ce qui concerne les ossatures charpente et plancher, aux articles CO 29 - 2ème alinéa et R 15 en ce qui concerne les cloisons, C0 22 et R 12 en ce qui concerne les escaliers.

2°/ Maintenir dégagés en permanence tous les couloirs de dégagements, dégagements, escaliers itinéraires de sortie et d'évacuation ; interdire notamment le stationnement de véhicules à proximité des sorties des amphithéâtres, ainsi que dans les itinéraires réservés pour les interventions des sapeurs-pompiers, le stationnement de cycles et de motocycles dans les dégagements généraux, les stockages de quelque nature qu'ils soient dans les couloirs, escaliers, etc., s'ils en diminuent la largeur au-delà des limites fixées aux articles CO 38, C0 39 et R 25.

3°/ Faire ouvrir simultanément et dans le sens de la sortie les vantaux des portes de deux ou trois unités de passage, des dégagements généraux, des escaliers et sorties ; y faire ouvrir toutes les portes intérieures ou extérieures des locaux recevant plus de 50 personnes dans le sens de la sortie, dans les conditions fixées à l'article CO 52.

4°/ Interdire toute condamnation d'issue, de dégagement, d'escalier, d'ascenseur etc., sauf à se conformer strictement à l'article R 26. Déposer tous les systèmes de condamnation non conformes, libérer ces issues des mobiliers qui en empêchent l'ouverture afin que de tout local ou ensemble de locaux, on puisse constamment accéder à deux issues au moins.

12°/ Procéder régulièrement au nettoyage, notamment des parties communes, dans les conditions fixées à l'article CO 74. Procéder notamment à l'enlèvement aussi fréquemment que nécessaire de tous les dépôts de détritus inflammables ou dangereux.

24°/ Supprimer tous les circuits électriques défectueux ou inutilisés.

26°/ Remettre correctement en état les installations des lampes d'éclairage et remplacer les prises de courant et interrupteurs défectueux.

31°/ D'une manière générale, rendre toutes les installations électriques conformes aux spécifications du règlement de sécurité et de la norme précitée.

53°/ Apposer la mention "sans issue " sur toutes les portes ne permettant pas de gagner une sortie. raquo;

La plupart de ces recommandations sont toujours d'actualité en 1993 lorsqu'un rapport de la Préfecture de Police daté du 22 mars 1993, pointe encore « un grand nombre d'anomalies, importantes au regard du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public ». Ces anomalies « concernent notamment » :

« l'insuffisance d'isolement des locaux à risques ouvrant sur les circulations, l'absence générale de balisage tant dans les locaux de l'Institut de Physique du Globe que dans les circulations communes, à l'exception de signalisation erronée sur les paliers d'escaliers indiquant une possibilité d'évacuation par les terrasses, le stockage et l'utilisation de radio-éléments sans signalisation spécifique sur les portes des locaux, le stockage anarchique de matériels divers dans les placards techniques donnant sur les circulations, le stockage de matériel et matériaux (motos, bobines de câbles électriques, mobilier, etc.) dans les circulations communes et cages d'escalier, l'impossibilité de coupure rapide des installations électriques de chaque niveau, en raison d'un verrouillage des armoires d'étages par les services d'entretien des autres universités, les installations électriques anarchiques tant en basse tension qu'en TBT par la mise en place de câbles cheminant en vrac dans les faux plafonds, la suppression des points lumineux d'éclairage de sécurité dans les circulations dont les faux plafonds ont fait l'objet d'une rénovation, l'absence d'alarme dans l'ensemble des locaux visités, l'absence de consignes de sécurité dans les locaux, l'absence de plans de niveaux, la réalisation d'aménagements sans dépôt de dossier préalable et l'absence de procès-verbaux des matériaux utilisés, l'absence de registre de sécurité pour l'ensemble du campus. »

Ce rapport de la commission de sécurité concerne l'Institut de Physique du Globe de Paris, devenu établissement indépendant en mars 1990, mais ses observations ont été également envoyées aux présidents des deux autres établissements du campus, la commission notant que « ces locaux se trouvent de fait imbriqués, sans isolement particulier, avec ceux des universités de Paris VI et Paris VII, ces établissements étant communs par leurs dégagements et leurs équipements techniques et fonctionnels. »

A l'occasion de cette visite de l'IPGP, la commission de sécurité de la préfecture de police rappelle qu'elle avait également relevé et notifié aux présidents des universités, des anomalies importantes lors de visites antérieures, le 4 décembre 1987 pour les bâtiments A, B, C et F et le 22 janvier 1988 pour le gril.

2.3 Le rapport SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT (novembre 1995)

L'inertie des responsables face aux problèmes de sécurité incendie, n'a d'égale que celle face au problème de l'amiante. Il faudra attendre la création du Comité Anti Amiante Jussieu en octobre 1994 pour que la situation change. Suite à l'action menée, les autorités de tutelle acceptent de financer une étude de diagnostic et de faisabilité des travaux. L'étude est confiée à un groupement international SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT.

En novembre 1995, le groupement SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT remet un rapport « traitement des surfaces amiantées - sécurité électrique - sécurité incendie - du campus Jussieu : diagnostic et étude de faisabilité des travaux ». Ce rapport volumineux, fruit de 4 mois de travail relève une fois de plus et de façon très détaillée, l'ensemble des risques dus à la présence de flocages d'amiante à Jussieu, ainsi que ceux dus au non respect des normes en matière de sécurité incendie et électricité, préconise des travaux de retrait rapide, global et massif de l'amiante et de mise aux normes sécurité incendie et électricité, en évalue le montant (880 millions de francs) et la durée (3 ans pour des travaux par tranches).

Pour ce qui est du problème posé par l'amiante, le groupement d'experts remet un rapport intitulé Traitement des surfaces amiantées du campus de Jussieu, diagnostic et étude de faisabilité. Effectuant une visite systématique de tous les locaux, les experts ont émis un diagnostic visuel, méthode alors en vigueur dans de nombreux pays et qui sera imposée dans la législation française à partir de février 1996.

Le résultat du diagnostic est sans appel : il confirme les risques relevés dans les études antérieures, et constate que les mesures correctives nécessaires n'ont pas été prises et que les mesures de sécurité élémentaires ne sont pas respectées :

« les flocages d'amiante, appliqués lors de la construction des bâtiments sur les poutres et poteaux intérieurs en acier [...] sont toujours présents dans leur quasi-totalité » et « dans la plus grande partie des locaux, [les flocages] sont dans un état de dégradation avancée » (p. 15)

Il en résulte une pollution par l'amiante importante et « la protection au feu des structures est très amoindrie, voire inexistante par endroits » (résumé général, p. 2).

Les conclusions du rapport sont précises et fermes : il recommande « une opération globale, rapide et massive d'enlèvement complet de l'amiante » ainsi que l'exécution immédiate de travaux de protection provisoire. Il ajoute:

« dans beaucoup d'autres contextes, la présence du flocage et son état seraient suffisants pour déclencher des travaux correctifs et pour imposer d'urgence des mesures conservatoires strictes. A cette action relevant déjà d'actions urgentes s'ajoutent des conditions propres au site qui orientent vers un traitement intégral des flocages : pollution d'ambiance notable, risques d'expositions élevées lors de travaux de maintenance, besoin de dépoussiérage global, difficulté d'appliquer les consignes de prévention et les prescriptions techniques, contraintes permanentes pour tous travaux, dispersion des initiatives et absence de suivi dans le temps.

Des solutions d'attente envisageables par exemple pour un immeuble de bureaux de taille réduite seraient difficilement applicables à l'échelle de Jussieu, en-dehors du fait que ce site ressort comme un cas prioritaire à traiter parmi les bâtiments publics floqués en France » (p. 36).

Le rapport SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT examine les différentes possibilités de traitement du problème de l'amiante et conclut que le retrait de l'amiante est la solution qui s'impose, car c'est la seule solution pérenne. Il propose une organisation des travaux par tranches qui porte leur durée de réalisation à trois ans. Le coût du retrait de l'amiante et de son remplacement par un produit coupe-feu inoffensif est évalué à 700 millions de francs TTC.

La sécurité électrique est le deuxième point étudié par la SETEC; elle fait l'objet d'un rapport intitulé Sécurité électrique du campus de Jussieu - Diagnostic et étude de faisabilité. Le résumé général des différents rapports reprend les « principales constatations » faites lors de l'examen des installations électriques basse tension :

« Equipement basse tension des postes de transformation :

- obsolescence du matériel, disparité des origines et des principes de mise en œuvre,

- dangers d'électrocution et d'incendie dus au manque ou l'absence de protections.

Distributions et armoires secondaires :

- difficultés d'exploitation dues à l'imbrication et la variabilité des zones d'influence des postes,

- problèmes de sélectivité entre fusibles des différents réseaux,

- non-conformité des protections et des moyens de coupures,

- dangers d'électrocution et d'incendie.

Appareils d'éclairage normal, appareillage et prises de terre :

- non-conformité de nombreux luminaires,

- risques d'électrocution dus à l'absence de mise à la terre des luminaires et à l'état de certains terminaux cassés ou arrachés,

- non-conformité des prises de terre et des conducteurs de terre.

Eclairage de sécurité :

- non-conformité des sources de sécurité (isolement coupe-feu),

- manque de balisage et d'éclairage,

- non-conformité de la distribution du courant secouru. (p. 5).

Pour chaque point étudié, le rapport souligne les problèmes de non-conformité des installations électriques et les « dangers d'électrocution et d'incendie » que cela entraîne. Elle évalue le coût de la remise en conformité électrique à 150 millions de francs TTC.

Le dernier problème étudié par la SETEC en novembre 1995 est celui de la sécurité incendie ; il donne lieu à un rapport intitulé Sécurité incendie du campus de Jussieu. Comme dans le cas de la sécurité électrique, il s'agit pour la SETEC d'examiner la conformité des installations, de proposer des travaux et d'en évaluer le coût.

En matière de sécurité incendie la SETEC note des risques posés par l'utilisation des bâtiments :

« une partie des portes donnant accès aux rotondes sont (pour des raisons de sûreté) condamnées soit  : par des verrous supplémentaires, par des profilés métalliques de toutes sortes, par des plaques de tôle vissées sur les vantaux.

ces dispositifs annihilent le fonctionnement des barres anti panique et créent à chaque fois un cul de sac très dangereux en cas d'incendie.

D'autre part, l'accès par les rotondes à certaines circulations est contrôlé par des portes équipées de digicode ou autre système équivalent. Souvent des objets stockés dans les circulations en diminuent la largeur et peuvent gêner l'évacuation des personnes en cas d'incendie. » (p. 8).

La SETEC note également que les exercices de sécurité

« n'ont pas lieu dans l'ERP, puisqu'il n'est équipé que très partiellement de système d'alarme. » (p. 10)

« 18% des zones sont équipées avec des diffuseurs sonores et des bris de glaces » (p. 6)

En ce qui concerne la structure du bâtiment, le rapport SETEC souligne nettement que la remise aux normes en matière de sécurité incendie et électricité nécessite que le désamiantage soit effectué au préalable :

«  L'hypothèse émise dans la suite du document est que le gril sera doté d'une stabilité au feu 1 heure et demie. Cette hypothèse est motivée par les conclusions du rapport sur le désamiantage, opération qui s'avère indispensable à l'ensemble du gril. Lors de ces travaux de désamiantage, la structure métallique sera pourvue d'un revêtement la rendant stable au feu 1 heure et demie au moins. Ces travaux s'avèrent donc être un pré-requis pour l'analyse de la sécurité incendie. »(p. 15).

La stabilité actuelle au feu serait d'une demie heure, « suite à la dégradation des flocages », (p. 6).

Une fois l'amiante retiré et remplacé par un autre revêtement coupe-feu, la SETEC préconise notamment :

la mise en place d'un « équipement d'alarme », la « mise à l'abri des fumées des cages d'escalier », le « désenfumage des circulations », la « division du gril en compartiments », des « créations d'issues de secours » dans les barres 46/00 ou 26/00, le « recoupement et rétablissement des circulations », etc. (p. 15-19)

Le montant des travaux de mise en sécurité incendie est évalué à 30 millions de francs TTC. Ainsi, le coût global des travaux de désamiantage et de remise aux normes de sécurité incendie et électrique, est-il évalué par le groupement SETEC à 880 millions de francs TTC en novembre 1995.

3. L'obtention d'un plan de désamiantage et de mise en sécurité.

A la suite de l'étude SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT, les autorités responsables disposaient, fin novembre 1995, d'un rapport incontestable qui indiquait non seulement les risques et l'urgence des travaux, mais également ce qu'il fallait faire et comment il fallait le faire. Pourtant, il a fallu encore près d'un an pour obtenir un plan de désamiantage et de mise en sécurité du campus. A l'inertie des autorités responsables s'ajoutera dans cette affaire l'intervention insistante de considérations immobilières qui retardèrent les décisions.

Le président de l'université Paris 7 crut bon, en effet, de profiter de la situation pour essayer d'obtenir la construction d'une nouvelle université sur le site de la ZAC Tolbiac. Dès la remise du rapport SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT, il proposa aux autorités de tutelle un projet de déménagement de l'université Paris 7 sur la ZAC Tolbiac, avec comme financement de la nouvelle construction, la vente des bâtiments A, B, C, F de l'université Paris 6 situés en front de Seine. Le projet de déménagement fut présenté officiellement comme la seule bonne « solution » au problème des locaux provisoires nécessaires au désamiantage, alors qu'il répondait à de toutes autres considérations, et ne pouvait que conduire en pratique à repousser les travaux de plusieurs années, les terrains convoités sur la ZAC Tolbiac n'étant même pas disponibles.

A mesure que les décisions se rapprochaient, les pressions immobilières se firent de plus en plus insistantes. Les journaux, Le monde du 10 juillet et Libération du 16 juillet, se sont fait l'écho d'un «rapport non signé, mais abondamment diffusé par des professionnels de l'immobilier» plaidant pour le déménagement de l'université Paris 7, comme seule solution permettant de mener rapidement la décontamination de Jussieu. Ce rapport de 17 pages intitulé «où en est le dossier Jussieu?», mêlant les considérations sanitaires, judiciaires et immobilières, distribué dans les rédactions par des professionnels de l'immobilier, avait en fait été écrit par des membres de la présidence de l'université Paris 7, qui en firent circuler plus tard sur le campus une version expurgée sous le titre Amiante, point sur le dossier Jussieu.

Le Ministre de l'Education Nationale, François Bayrou, dénonça lui-même «des groupes de pression qui essaient de faire pencher la balance», quand au lendemain de la déclaration de Jacques Chirac, Jean Tiberi proposait avec insistance la ZAC Tolbiac et annonçait qu'il allait soumettre au conseil de Paris une modification du plan d'aménagement de cette zone permettant d'accueillir 130 000 m2 de bâtiments universitaires (cf. Libération du 17 juillet).

Finalement un plan de désamiantage et de mise en sécurité de Jussieu fut annoncé par le Ministre François Bayrou le 30 septembre 1996, près d'un an après la remise du rapport d'expertise SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT. Suivant les conclusions de ce rapport, il déclare lors d'une conférence de presse que « le choix du gouvernement pour Jussieu, c'est celui de l'arrachage complet et définitif de l'amiante à Jussieu, du désamiantage intégral du campus le plus rapide possible ». Il explique les orientations qui l'ont conduit à proposer ce plan : « ne pas mélanger les questions de désamiantage et les questions qui pourraient se poser de localisation ou de réorganisation des établissements à Jussieu », et que « le désamiantage devait être conduit sans que le service public des universités, le service public d'enseignement et de recherche, se trouve interrompu. »

Reprenant les délais du rapport, François Bayrou fixait un objectif de trois ans pour la durée des travaux par tranches. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement dégageait 1,2 milliards de francs en trois ans, soit plus que l'évaluation financière de la SETEC qui estimait le coût des travaux à 880 millions de francs, ce « pour faire face en particulier aux locaux provisoires. » Il prévoyait 41 000 m2 de locaux provisoires : 10 000 m2 sur le campus Jussieu « à répartir par les universités entre étudiants et chercheurs. », 15 000 m2 de préfabriqués à construire à Gentilly sur un terrain appartenant à l'Etat, et 16 000 m2 de bureaux pour les chercheurs dans un immeuble du Commissariat à l'Energie Atomique (CEA), rue de la Fédération à Paris.

Ces engagements oraux du ministre sont confirmés et matérialisés dans un contrat de désamiantage qui est signé entre le ministre de l'éducation et les établissements du campus Jussieu, le 4 décembre 1996. Dans ce contrat, sont ainsi réaffirmés, la décision d'arrachage complet de l'amiante sur le campus Jussieu tout en maintenant le service public d'enseignement et de recherche, l'engagement financier à hauteur de 1,2 milliards sur 3 ans, la mise à disposition de 41 000 m2 de locaux provisoires (10 000 m2 sur le campus, 15 000m2 à Gentilly, 16 000 m2 de bureaux, rue de la Fédération à Paris), l'objectif de réalisation des travaux dans un délai de trois ans à compter de la date de signature du contrat que se fixe chacune des parties signataires.

Le contrat stipule en outre qu'« un établissement public, placé sous la tutelle du ministre chargé de l'enseignement supérieur, sera créé pour conduire les travaux de désamiantage du site de Jussieu et toutes opérations concourant à la réalisation de cet objectif. Outre son conseil d'administration, l'établissement public administratif sera doté d'un comité consultatif qui permettra d'assurer la participation au déroulement des opérations des personnels et des usagers. »

4. Les obstacles mis à la réalisation du plan

En septembre 1997, un an après l'annonce du plan de désamiantage et de mise en sécurité de Jussieu, les travaux n'ont toujours pas commencé; les appels d'offres aux entreprises chargées de ces travaux n'ont même pas été lancés.

Ce retard n'a aucune justification technique : un chantier expérimental de désamiantage, effectué sur une surface significative de 1500 m2 (3 demi-étages d'un laboratoire de Physique), a clairement montré que les travaux pouvaient être effectués dans les conditions prévues.

Mais deux des trois établissements du campus, l'Université Paris 7 et l'Institut de Physique du Globe ont mis délibérément des obstacles à la réalisation du plan.

Les réactions à l'annonce du plan de désamiantage sont significatives.

Lors de l'Assemblée Générale du 1er octobre 1996, les personnels se réjouissent des décisions prises et appellent à la vigilance quant à leur application.

Le Président de l'Université Paris 6 souligne, à propos du plan de désamiantage que ces « propositions correspondent aux voeux de l'université Pierre et Marie Curie » et convoque son conseil d'administration « pour étudier ces propositions et discuter des aménagements à apporter aux enseignements et au fonctionnement de la recherche pour mettre en oeuvre, dans les meilleures conditions possibles, le désamiantage » (communiqué du 1er octobre 1996).

Le Président de l'université Paris 7, Jean-Pierre Dedonder se réjouit certes « de l'engagement financier triennal de l'Etat », mais déplore en ce qui concerne les locaux provisoires, « leur dispersion et leur localisation [qui] présentent cependant des inconvénients certains. » Considérant que « la résolution du problème de santé publique est désormais acquise », il « souhaite que la réflexion sur l'avenir de Paris 7-Denis Diderot et les évolutions de son projet se poursuive et que la consultation interne engagée à propos de l'hypothèse de transplantation de l'université sur la zone Seine-Rive-Gauche soit menée à son terme » (communiqué du 2 octobre 1996).

L'université Paris 7 et l'Institut de Physique du Globe de Paris signifient officiellement leur réticences vis-à-vis du plan de désamiantage du campus lors de la signature du contrat de désamiantage, le 4 décembre 1996, en annexant des « réserves » au contrat.

Pour Paris 7, ces réserves sont liées aux locaux provisoires qu'elle juge : « dispersés, inadaptés à la mise en place d'activités expérimentales et ne permettant pas le transfert des bibliothèques » (motion du conseil d'administration du 4 octobre 1996, annexée au contrat de désamiantage).

Quant aux « réserves concernant la signature du contrat de désamiantage de Jussieu par l'IPGP », elles portent sur le désamiantage lui-même : « Pour préserver la santé et la sécurité des personnels, et pour laisser ouvertes les meilleures conditions possibles de poursuite de traitement de ce dossier, la direction de l'IPGP signe ce contrat en émettant cependant des réserves, dues notamment à l'insuffisance des données scientifiques disponibles pour permettre une prise de décision pleinement fondée. » L'IPGP suit en cela les positions prises par son ancien directeur Claude Allègre dans le journal Le Point du 19 octobre 1996, qui bien que n'ayant aucune compétence sur le sujet conteste les opinions des experts.

Ces réserves, motivées pour la Présidence de Paris 7 par des considérations immobilières, et pour la direction de l'IPGP par le refus de l'évidence des risques liés à la présence d'amiante vont peser lourd dans le retard que prennent les autorités de tutelle à mettre en place l'Etablissement Public chargé de conduire les travaux de désamiantage et à lancer la construction ou l'aménagement des locaux provisoires.

4.1 Les considérations immobilières.

Le 1er octobre 1996, le Président de Paris 7, Jean-Pierre Dedonder, diffuse un document intitulé Amiante, point sur le dossier Jussieu (version expurgée de celui diffusé trois mois auparavant par les professionnels de l'immobilier), daté du 27 septembre 1997, qui commence par faire un point sur le problème de l'amiante à Jussieu et conclut à la nécessité de « transplanter l'université Paris 7 et éventuellement l'IPGP, dans un autre site sur lequel serait regroupé l'ensemble des activités ».

Dans ce document, la question de l'amiante n'est qu'un prétexte pour justifier un déménagement de l'université Paris 7 sur la ZAC Tolbiac ; les justifications réelles de ce déménagement apparaissent à la fin du document :

« Le fait de regrouper les activités de Paris 7 sur un autre site permet de lui offrir des possibilités de développement et de modernisation, qui seraient beaucoup plus difficiles à réaliser sur le site de Jussieu compte tenu de l'ensemble des difficultés évoquées précédemment. »

« Pour obtenir une réelle autonomie de gestion des universités, il est fondamental que celles-ci soient indépendantes sur le plan immobilier. »

La motivation du projet de déménagement sur la ZAC Tolbiac sera énoncée de façon encore plus claire dans un communiqué de presse en date du 18 avril 1997 de Michel Delamar, qui succède à Jean-Pierre Dedonder à la présidence de Paris 7 en mars 1997.

« Cette idée d'un déménagement correspond, non pas à la volonté de se débarrasser du problème de l'amiante, mais bien à une réflexion sur le développement et l'avenir de notre université. »

L'annonce d'un plan de désamiantage et de mise en sécurité prévoyant, comme le recommandait le rapport SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT, de faire les travaux par tranches en utilisant des locaux provisoires, n'entamera pas la détermination de la présidence de Paris 7. Elle continue de faire pression pour obtenir la construction d'une nouvelle université sur la ZAC Tolbiac, refuse l'installation prévue de locaux provisoires sur le site de Gentilly, ce qui bloque de fait la mise en œuvre du plan de désamiantage.

Les retards vont de fait s'accumuler. Ce n'est que le 18 avril 1997, date pour laquelle le début du chantier de désamiantage avait été annoncé par le ministre de l'éducation, que paraît au Journal Officiel le décret portant création de l'Etablissement public du campus de Jussieu chargé de conduire les travaux de désamiantage.

Alors que le Comité Anti Amiante Jussieu et les personnels déplorent les retards pris et obtiennent grâce à leurs protestations auprès des pouvoirs publics, la mise en place de l'Etablissement public, la présidence de Paris 7 s'accommode de ce retard. Le 18 avril 1997, le président de l'université Paris 7, Michel Delamar, écrit ainsi  dans son communiqué de presse:

« On entend dire aujourd'hui que le retard est criminel car il va provoquer de nouvelles victimes. C'est faux. Les personnels et étudiants n'ont été autorisés à réintégrer les locaux, après mise en place des mesures d'urgence, que sur la base de mesures du taux de fibres d'amiante garantissant que leur santé est préservée. Nous sommes provisoirement protégés, sous réserve qu'aucun incendie ou inondation ne vienne compromettre le dispositif. »

En fait, ce qui est faux c'est que les occupants soient protégés. Le rapport SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT avait certes recommandé des mesures d'urgence, mais celles-ci étaient conçues comme provisoires : les travaux de retrait devaient être effectués en parallèle. Les mesures d'urgence, qui consistent à recouvrir d'un film plastique les faux-plafonds perforés et à fermer les gaines techniques atténuent provisoirement les risques liés à la pollution par l'amiante, mais elles n'offrent aucune garantie dans le temps. Il faudrait pour cela que l'université assure un entretien constant et se donne les moyens de faire appliquer les mesures de sécurité extrêmement contraignantes indispensables dans ce type d'environnement, ce qui n'est absolument pas le cas.

Les retards dans la mise en œuvre du plan de désamiantage constituent donc bien un risque supplémentaire pour la santé et la sécurité des occupants du campus, contrairement à ce qu'écrit Michel Delamar dans Univers 7, le « journal de Paris 7 - Denis Diderot », n°28, mai 1997 :

« Je tiens en tout cas à rassurer les personnels et les usagers : le petit retard du grand chantier n'est pas une catastrophe et ne constitue pas actuellement un risque supplémentaire pour la santé ».

Il est surprenant de voir un responsable d'université, pourtant informé des dangers engendrés par la pollution par l'amiante et la non-conformité aux normes de sécurité incendie et électrique de son établissement, ne pas s'inquiéter du retard pris par les travaux et affirmer sans sourciller que ce retard ne constitue pas « un risque supplémentaire pour la santé ».

Pas plus que l'amiante, les graves problèmes de sécurité incendie ne sont pris au sérieux. Ils apparaissent certes dans le document Amiante, point sur le dossier Jussieu, mais uniquement pour venir soutenir la thèse du déménagement. En outre la nécessité de la remise aux normes en matière de sécurité incendie n'est envisagée que comme une conséquence des opérations de désamiantage, alors qu'elle s'impose de toutes façons :

« L'ampleur des travaux liés à la décontamination des bâtiments de Jussieu oblige à prendre en compte la remise aux normes de sécurité en vigueur de ces bâtiments, notamment en matière de sécurité incendie et de sécurité électrique. Ceci entraînera nombre de travaux importants pour construire des cloisonnements anti-feu, de sol à plafond, entre les barres et les tours, murer les ouvertures existantes sur les paliers des rotondes, rétablir les circulations condamnées par des constructions sauvages ».

Michel Delamar ira même jusqu'à faire semblant de découvrir les problèmes de sécurité incendie, découverte qui selon lui expliquerait les retards dans la mise en œuvre du plan de désamiantage. Il écrit dans son communiqué de presse du 18 avril 1997 :

« Ceux qui sont en charge du problème ont vite découvert que la difficulté de réaliser l'opération sans compromettre le fonctionnement des trois établissements était beaucoup plus grande que prévu. Non seulement parce que la programmation et la mise en place des modalités pratiques d'une opération de cette ampleur est extrêmement complexe, mais aussi parce qu'après arrachage de l'amiante, la remise aux normes incendie des bâtiments de Jussieu et la suroccupation du campus posent des questions graves de sécurité qui ne sont pas toutes résolues. ».

Lors de la réunion du comité inter établissement du 21 avril, les représentants du personnels protesteront en faisant remarquer que les questions de sécurité se posent dès maintenant et non pas seulement après le désamiantage. Michel Delamar corrigera le tir, dans une lettre du 25 avril 1997 aux personnels en reconnaissant que « ces questions de sécurité se posent dès maintenant, indépendamment du désamiantage. »

Mais François Montarras, chargé de l'aménagement du campus à la présidence de Paris 7 tient encore le même raisonnement lorsqu'il déclare à l'Express du 12 juin 1997 :

« Avec le dossier de l'amiante à Jussieu, on a ouvert une boîte de Pandore. Les bâtiments ne sont pas en conformité. Si l'on défloque, il faut également remettre le campus aux normes. Dans le cas inverse, la commission de sécurité s'opposerait à la réouverture des locaux après le désamiantage ».

Les responsables de l'Université Paris 7 n'ignorent pas les problèmes de sécurité incendie, mais ils les présentent comme une conséquence du désamiantage, alors qu'ils se posent indépendamment de celui-ci.

4.2 Le refus du désamiantage.

Une seule voix s'est élevée contre la décision de désamiantage de Jussieu, celle de Claude Allègre, qui lorsqu'il était conseiller spécial de Lionel Jospin au ministère de l'Education, de 1988 à 1992, n'avait rien fait pour résoudre le problème, malgré les moyens considérables engagés dans le plan « Université 2000 ». Dans un article publié dans Le Point du 19 octobre 1996 et une interview au Figaro du 26 décembre 1996, l'ancien directeur de L'Institut de Physique du Globe de Paris s'est en effet violemment insurgé contre la décision de désamianter Jussieu . Dans le Point, il écrivait :

« Il faut que cessent ces psychoses collectives qui agitent le monde sans rationalité. Après la crainte des conséquences de Tchernobyl dans la vallée du Rhône, l'irrationalité dans le traitement du problème de la vache folle, voici l'amiante. »

Faisant fi des données scientifiques et techniques comme des rapports d'experts (l'étude réalisée en 1995 par le groupement international SETEC, BRGM, FIBRECOUNT, EUROTEC qui recommandait l'enlèvement massif, global et rapide de l'amiante sur tout le campus était signée par l'expert amiante du BRGM, institution dont Claude Allègre était le président), il dénonçait un phénomène de « psychose collective » à propos d'un « risque mineur », énonçant au passage quelques contrevérités majeures. Même le rapport de synthèse Effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante », engageant la plus grande institution scientifique en la matière, l'INSERM, n'y est traité que par le mépris, sans apporter le moindre argument :

« Quant au rapport demandé à l'INSERM, qu'il me soit permis de dire qu'il ne brille pas par la rigueur scientifique, ni par le courage, ni par l'esprit d'initiative scientifique. Il ne contient rien de clair et permet d'affirmer tout et son contraire . On sent planer à chaque page l'ombre du sang contaminé d'où le désir d'ouvrir un immense parapluie. »

Contre le désamiantage on trouve essentiellement deux arguments, qui sont aussi faux l'un que l'autre.

Il prétend que le désamiantage serait « De plus, les universités de Jussieu ne sont pas des crèches pour enfants. Il y a des labos de chimie, des incendies épisodiques, des lignes à haute tension, donc des risques permanents, et pour isoler tout cela thermiquement , on ne sait pas par quoi remplacer l'amiante. »

En fait on sait bien évidemment, et depuis fort longtemps, par quoi remplacer l'amiante en matière de protection incendie (il faut préciser que l'amiante sous forme de flocage est interdit en France depuis 1978 ). En revanche tous les rapports montrent que la protection incendie n'est pas assurée actuellement à Jussieu, et l'évocation d'incendies épisodiques (qui existent effectivement) devrait conduire toute personne responsable à la conclusion qu'il est urgent de faire des travaux de mise en sécurité, ce qui suppose de traiter en même temps le problème de l'amiante.

Les arguments fallacieux viennent étayer une sorte de philosophie générale concernant les risques que Claude Allègre expose dans son interview au Figaro du 26 décembre 1996 : dénonçant d'une manière caricaturale le « expression fourre-tout », il plaide pour une acceptation du risque avec des arguments à l'emporte-pièce: « une société qui n'assume pas les risques est une société vouée à la mort car seule la mort est sans risque », dit-il notamment.

Le désamiantage de Jussieu n'y est pas considéré sous l'angle de la santé publique mais sous celui des perturbations que pourraient engendrer les travaux au niveau du fonctionnement des universités. Entre le risque engendré par l'amiante en place et les perturbations engendrées par les travaux de désamiantage, Claude Allègre choisit sans hésiter et qualifie la décision de désamiantage de Questions de France:

« Les Américains avaient volé la découverte du virus du sida aux Français, ils proposaient un test peu fiable susceptible d'induire des centaines de gens en erreur. Fallait-il, non content d'avoir été scientifiquement pillé, se laisser piétiner, envahir par un produit douteux? »

À l'absence complète de prise en compte des impératifs de santé publique, s'ajoute l'inexactitude: le test américain n'était pas moins fiable que le test français et il n'était pas question d'induire des gens en erreur, puisqu'il s'agissait uniquement de tester des lots de sang.

5. La situation actuelle

L'accumulation de rapports montre une situation qui ne fait que s'aggraver au cours du temps sans que les actions correctives nécessaires, imposées par le règlement ne soient entreprises. Les facteurs de risque peuvent être répartis en deux catégories :

  • ceux pour lesquels une action corrective rapide sous forme de mesures d'urgence est possible ;
  • ceux qui ne peuvent être éliminés qu'au travers de l'opération globale de désamiantage et de mise en sécurité.

5.1. Mesures d'urgences.

En ce qui concerne la sécurité incendie, la liste est longue des règles de sécurité élémentaires qui ne sont pas respectées : circulations encombrées, portes à mi-couloir fermées formant des culs-de-sac, issues de secours condamnées dans des salles accueillant un public nombreux, etc. Elles sont recensées une nouvelle fois dans le récent rapport CASSO-TECHNIP-TPS (version provisoire, 4 février 1997, à laquelle se réfère la préfecture de police dans un rapport du 8 mars 1997), par exemple :

« les circulations sont encombrées par des dépôts ou stockage de matériel divers

Certains services n'utilisant qu'une demi-barre sont isolés de l'autre demi-barre par des portes d'intercommunication.

Ces portes sont condamnées de part et d'autre par des dispositifs fermant à clef et de barres anti-intrusion, provoquant des culs-de-sac importants » (p. 12).

Aucune action corrective n'a été entreprise, alors que des incendies se produisent sur le campus (incendie à l'Institut Jacques Monod en novembre 1996, incendie tour 14 au printemps 1997), rappelant régulièrement la réalité du risque incendie.

En ce qui concerne l'amiante, le rapport SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT avait dressé le sombre tableau de la situation. Des actions correctives partielles ont été entreprises. Des mesures de sécurité ont été prises sous la pression du Comité Anti-Amiante et des syndicats :

Une affiche « Danger Amiante » a été posée dans chaque couloir, informant les usagers du bâtiment des dangers et des principales consignes de sécurité à respecter ; la plupart des gaines techniques (qui constituent une des principales sources de pollution par l'amiante) ont été condamnées ; des protocoles pour les interventions de maintenance touchant aux faux-plafonds ou aux gaines techniques (par lesquels passent les canalisations, les circuits électriques, les câblages, etc.) ont été mis en place : ils prévoient notamment dans de nombreux cas l'intervention d'entreprises spécialisées pour respecter la législation amiante concernant la protection des personnels.

Des travaux d'urgence ou travaux de protection provisoire ont été réalisés, suivant en cela les recommandations du rapport SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT : la plupart des faux-plafonds perforés ont été recouverts d'un film adhésif et des « bavettes » ont été posées au niveau du haut des fenêtres.

Cependant les autorités ont omis de se donner les moyens de vérifier leur application effective et d'assurer leur maintien dans le temps. C'est ainsi qu'on peut constater que les affiches « danger amiante » disparaissent progressivement des couloirs sans être remplacées, que les films plastiques commencent à se décoller dans de nombreux endroits, que des gaines techniques sont encore ouvertes. Quant aux consignes de sécurité nécessaires lors des opérations de maintenance (pose d'un câble, changement de fusibles, etc.), leur caractère contraignant entraîne déjà leur non-respect, et ce phénomène ne peut que s'accentuer au fil du temps.

5.2 L'opération globale.

Le rapport d'expertise SETEC-BRGM-EUROTEC-FIBRECOUNT de novembre 1995 recommandait un retrait rapide, massif et global de l'amiante et une mise aux normes de sécurité incendie et électricité. Le 30 septembre 1996, un plan de désamiantage et de mise aux normes en matière de sécurité incendie et électricité a été annoncé par le Ministre de l'Education Nationale, François Bayrou. Ce plan a été formalisé par la signature d'un contrat de désamiantage le 4 décembre 1996, engageant l'Etat et les établissements, qui fixe une échéance pour la fin des travaux (3 ans) et dégage des moyens financiers (1,2 milliard de francs).

Au terme de la réglementation amiante (décret numéro 96-97 du 7 février 1996), des « travaux appropriés » auraient dus être mis en œuvre dans un délai de 12 mois après le diagnostic. En ce qui concerne l'incendie, la nécessité et l'urgence des travaux sont aussi évidentes. Le récent rapport CASSO réaffirme une nouvelle fois que

« l'établissement présente de graves anomalies en ce qui concerne la sécurité contre les risques d'incendie et de panique » (p. 17)
et indique toute une série de travaux et mesures
« concourant à la sécurité [qui] devront être réalisés en parallèle avec les travaux de désamiantage prévus dans l'ensemble du bâtiment » (p. 17).

Il précise :

« La stabilité et le degré coupe-feu ne sont pas actuellement connus, mais ne paraissent pas répondre au degré une heure trente demandé pour un établissement classé en 1ère catégorie. Certaines poutres ou poutrelles métalliques, autres que celles recouvertes d'amiante ne sont pas protégées et ne possèdent aucune caractéristique de stabilité et de degré coupe-feu » (p. 9).

Le désamiantage a donc une double justification :

  • retirer un produit dangereux pour la santé
  • et le remplacer par un produit ayant un degré coupe-feu suffisant (ce qui n'est pas le cas du flocage en amiante actuel).

Mais, en septembre 1997, les travaux n'ont pas commencé sur le campus Jussieu. Les locaux provisoires nécessaires à la réalisation des travaux n'ont pas été mis en place. Les appels d'offre aux entreprises chargées de désamianter et de remettre aux normes de sécurité n'ont pas été lancés.

En fait le dossier est bloqué depuis la prise de fonction du nouveau Ministre de l'Education, Claude Allègre. Même la mise en place de l'Etablissement Public, qui est chargé de la conduite des opérations de désamiantage n'a pas été effectuée, alors que le Ministre disposait dès son arrivée d'une proposition de nomination d'un directeur pour cet établissement.

On comprend mieux pourquoi en lisant les déclarations du Ministre, Claude Allègre, au Parisien du 3 juillet 1997 :

« Je l'ai déjà dit : le désamiantage est une bêtise. Mais il faut aménager Jussieu et résoudre le problème de l'amiante. Il sera construit des logements étudiants à Jussieu.

Mais dépenser autant d'argent qu'il en faut pour construire une université pour uniquement désamianter, c'est une absurdité et ce n'est pas sérieux. »

Face à des problèmes de santé publique et de sécurité incendie, les parti pris personnels d'un Ministre impliqué dans le dossier, peuvent-ils prévaloir sur les rapports des experts, la réglementation et les engagements de l'Etat?

6. L'incrimination pénale.

Les responsables de cette situation se rendent ainsi coupables du délit de mise en danger d'autrui défini à l'article 223-1 du Code Pénal.

« Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F. d'amende ».

6.1. L'élément matériel de l'infraction

Pour être constitué, le délit suppose :

- d'une part, la violation d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement,

- d'autre part, l'existence pour autrui d'un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente.

6.1.1. La violation d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement

Le texte vise le « règlement » entendu au sens constitutionnel.

Une réglementation précise est indispensable.

Tel est le cas en l'espèce :

- En matière de sécurité incendie :

- il s'agit d'une part des dispositions prévues par les articles R.232-12 et suivants du Code du Travail,

- il s'agit d'autre part des dispositions prévues par le Code de la Construction et de l'Habitation (articles L.122-1 et R.122-1 et suivants).

En effet, les établissements recevant du public sont soumis cumulativement à l'application des dispositions du Code du Travail et à celles, plus exigeantes encore, du Code de la Construction. Des règles spécifiques s'appliquent, de surcroît, aux immeubles de grande hauteur.

- En matière d'amiante :

- il s'agit de l'application des décrets n° 96-97 et 96-98 du 7 février 1996 ainsi que des arrêtés du 14 mai 1996.

6.1.2. L'existence pour autrui d'un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente

Il est inutile d'épiloguer sur le risque que font courir aux 50 000 occupants du Campus de JUSSIEU des installations non conformes au plan de la sécurité incendie.

En ce qui concerne l'amiante, il faut rappeler ici les conclusions déposées, durant le mois de mai 1997, par le Docteur Philippe REYNAUD, Expert Judiciaire, désigné par le Juge BOIZETTE dans le cadre de la plainte contre X déposée par deux occupants du campus JUSSIEU pour blessures par imprudence et abstention délictueuse.

L'Expert Judiciaire conclut, en substance, après avoir constaté que les plaignants ont été exposés aux fibres d'amiante depuis plus de trente ans « en raison du flocage des faux plafonds des locaux où elles ont toujours travaillé » qu'il existe indubitablement un rapport de cause à effet entre cette affection (plaque pleurale asbestosique) et les conditions d'exercice de leur vie professionnelle.

6.2. L'élément intentionnel

La notion de violation « manifestement délibérée » suppose un viol des règles en toute connaissance du risque auquel on expose autrui. Il n'est pas nécessaire pour que le délit soit constitué que le dommage soit recherché ; il suffit que l'auteur ne puisse pas ignorer qu'il est possible qu'il survienne.

Ce délit révèle un comportement qui méprise délibérément la vie d'autrui et donne la priorité à d'autres considérations (financière, économique, politique, etc.).

Sur ce terrain également, l'exposé des faits établit la parfaite visibilité du risque et du danger qu'ont nécessairement eue les responsables d'établissements et l'autorité de tutelle.

La simple lecture de la chronologie de vingt ans de mise en garde, d'inertie et d'engagements pris et non suivis d'effet ne laissent aucun doute sur la conscience non seulement du risque mais du danger que font courir les multiples carences dénoncées ci-dessus.

C'est pourquoi, Messieurs

déposent plainte contre X et toutes personnes dont l'instruction révélerait l'implication dans le délit prévu par l'article 223-1 du Code Pénal.

Ils se constituent parties civiles et offrent de verser la consignation qu'il plaira au Doyen des Juges d'Instruction de fixer.

Fait à Paris,

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